La première mouture du Fonds de solidarité familiale a été mise au point. Le ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubaâ, explique les aspects financiers et organisationnels de ce fonds. ALM : Vous avez annoncé mardi 4 juillet devant les Conseillers la mise en place de la première mouture du Fonds de solidarité familiale. Quelles sont les bénéficiaires de ce fond et quelles sont les conditions requises pour en bénéficier ? Mohamed Bouzoubaâ : Effectivement, la première mouture du Fonds de solidarité familiale a été mise au point. La création de ce fonds s'inscrit dans le cadre du processus de construction d'une société moderne, engagé par notre pays sous la conduite éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Comme vous le savez, la dissolution de la relation conjugale risque d'entraîner des situations problématiques notamment lorsque l'ex-époux ne parvient pas à honorer ses engagements liés au paiement de la pension alimentaire due aux enfants. Qu'est ce qu'il faut faire devant cette situation ? En vue de régler cette situation, Sa Majesté le Roi avait, dans son discours prononcé à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, donné ses Hautes directives en vue d'engager une réflexion profonde sur la mise en place d'un fonds qui se substituera à l'ex-époux défaillant. Il s'agit en fait d'une formule qui puise sa philosophie dans les préceptes de l'Islam et dans les traditions d'entraide et de solidarité de notre société marocaine. Les prestations du fonds seront naturellement destinées aux enfants mineurs et à l'épouse, c'est-à-dire aux personnes dont l'obligation légale d'entretenir incombe à l'ex-époux défaillant après la rupture de la relation conjugale. Le fonds comblera cette défaillance et permettra ainsi de contribuer au règlement des problèmes qui en résultent. En outre, il convient de préciser que le Fonds de solidarité familiale n'intervient, pour se substituer au débiteur de la pension alimentaire, que lorsqu'il est établi que cette personne est insolvable. Cette intervention est soumise à des conditions ayant trait à la situation de l'ex-épouse bénéficiaire, qui ne doit pas disposer de moyens de subsistance, ainsi qu'au montant qui sera déboursé par le fonds, lequel sera plafonné quel que soit le montant de la pension alimentaire, fixé par le juge. Par ailleurs, le fonds devra verser les montants dus dans un délai n'excédant pas un mois et assurera ses prestations jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de majorité légale. Il aura aussi la possibilité de se faire rembourser en se retournant contre la personne défaillante lorsque la solvabilité de celle-ci est établie. Dans un premier temps, combien évaluez-vous le nombre des bénéficiaires ? A priori, il serait difficile d'annoncer un chiffre significatif sur le nombre de bénéficiaires potentiels. Cependant, les données dont nous disposons sur l'activité des sections de la justice de la famille, permettent de donner une idée sur l'importance du nombre d'affaires relatives à la pension alimentaire et donc de celui des personnes susceptibles de recourir au fonds. A titre d'exemple, le nombre de jugements rendus dans ces affaires et ayant fait l'objet de demande d'exécution a enregistré un accroissement de près de 16 % entre 2004 et 2005. Quant aux jugements exécutés, leur nombre s'est accru de 22 % au cours de la même période. Ceci traduit l'effort considérable déployé par les juridictions de la famille en matière d'exécution des jugements et l'importance des actions menées dans ce domaine par le ministère de la Justice. Celui-ci, conscient du fait qu'un jugement n'a de valeur concrète que si son dispositif est traduit dans les faits par son exécution, il assure le suivi des efforts déployés à cet effet par les juridictions et cherche à les soutenir par l'organisation, depuis quelques années, de campagnes annuelles pour apurer les arriérés des jugements non exécutés. Justement les jugements souffrent généralement d'un problème d'exécution ? Je saisis cette occasion pour souligner que les jugements rendus, en matière de pension alimentaire, qui ne sont pas exécutés, représentent moins de 25 % des demandes d'exécution et que leur inexécution est due à des difficultés réelles, découlant de l'insolvabilité des personnes condamnées ou de l'absence de biens ou de revenus susceptibles d'être saisis ou de la non-identification de l'adresse de la personne sujette à exécution. Cependant, malgré ces difficultés, les juridictions continuent à déployer les efforts et à engager toutes les procédures légales possibles en vue de contraindre les personnes sujettes à exécution à exécuter les jugements rendus à leur encontre. Quelles sont les sources de financement de ce fonds ? Et quel établissement sera-t-il chargé de sa gestion ? Le financement du fonds est une question fondamentale, qui a fait l'objet d'un large débat et d'études approfondies. Une commission interministérielle avait été constituée pour réfléchir sur le financement du fonds et proposer des formules favorisant la durabilité des ressources. Nous avons pu, dans un premier temps, identifier des ressources estimées à plus de 400 millions de dirhams par an, mais nous aspirons à beaucoup plus, en vue d'assurer à notre projet une assise financière lui permettant de remplir sa mission dans de bonnes conditions. Une étude est menée actuellement en vue d'identifier d'autres ressources qui pourraient revêtir la forme de taxes parafiscales auxquelles seraient soumises certaines prestations ayant trait à la famille telle que la délivrance des actes de mariage, des actes de naissance ou les permis d'habiter. Par ailleurs, cette réflexion sur les moyens de financement est menée parallèlement à la recherche de l'organisme qui se chargera de la gestion du Fonds de solidarité familiale. Notre réflexion sur cette question est guidée par deux principes : le premier concerne la viabilité du projet et son auto-équilibre, évitant d'en faire une charge financière pour l'organisme qui se verra confier la gestion du fonds. Le second principe a trait au rapprochement du fonds des bénéficiaires éventuels. Cette préoccupation nous amène à réfléchir sur une formule de gestion qui garantirait la présence du fonds selon un réseau qui couvre la carte judiciaire du Royaume et ce, afin d'épargner aux bénéficiaires les charges qu'ils auraient à supporter en se déplaçant pour encaisser leur pension.
Quelles sont les garanties pour la pérennité de ce fonds ? Je pense qu'à partir du moment où la décision de réalisation d'un projet est suffisamment étudiée, ce projet contient déjà des garanties de sa pérennité. Tous les aspects financiers et organisationnels du fonds de solidarité familiale ont fait et continuent à faire l'objet d'études approfondies pour apprécier sa faisabilité et sa viabilité. Ces études ont été complétées par un examen des expériences similaires de plusieurs autres pays, qui nous ont permis de prendre connaissance des modèles adoptés et de leur fonctionnement et, en particulier, d'identifier les insuffisances et les causes de l'échec de certains systèmes de ce type. Le montage que nous envisageons pour le fonds tient compte de tous ces éléments et veillera à mettre en place un système viable et pérenne tant au niveau financier que sur le plan de l'organisation et du fonctionnement. Quelles sont les raisons de ce retard, sachant que la création de ce fonds a été annoncée depuis 2004 ? Effectivement, la création du Fonds de solidarité familiale a été annoncée en 2004, lors de la promulgation du Code de la famille. Bien que l'annonce de ce projet ait été fondée sur des études préalables, j'estime que dans le cas de projets d'une telle envergure, le temps mis pour approfondir les études relatives à sa faisabilité, à sa viabilité et aux modalités de son organisation et son fonctionnement, ne constitue nullement une perte de temps ou un retard qu'on aurait dû éviter. Au contraire c'était une étape nécessaire qui a donné l'occasion de compléter les études préalables, d'en tester les conclusions et d'éclairer ainsi la décision finale de mise en œuvre du projet selon une forme bien étudiée, qui permettrait de maximiser les chances de succès et d'éviter les insuffisances constatées par d'autres pays dans leurs expériences similaires.