Dans cet entretien, Youssef Alaoui, président de la FISA, explique les raisons qui l'ont poussé à ne pas se présenter à la présidence de la CGEM et à soutenir la seule candidature en lice de Moulay Hafid Elalamy. ALM : On vous attendait, au départ, comme candidat à la présidence de la CGEM. A l'arrivée, vous êtes l'un des soutiens les plus en vue du tandem en lice. Pourquoi ce revirement ? Youssef Alaoui : En fait, je n'ai jamais exprimé ma candidature. Il est vrai que dans le secteur avicole, nous avons un calendrier chargé avec tout un travail de mise à niveau à faire. Les nouvelles dispositions légales régissant notre secteur entreront en vigueur le 20 avril 2007. Nous sommes en train de finaliser un contrat-programme. D'une part, la masse de travail est énorme. D'autre part, le tandem qui se présente incarne nos aspirations. C'est pourquoi notre conseil d'administration réuni, début mai 2006, a décidé de lui apporter son soutien. Justement, pourquoi ce soutien affirmé ? Nous connaissons les deux personnalités. Aussi bien Moulay Hafid Elalamy dans le domaine des finances que Mohamed Chaibi dans celui de l'industrie, il s'agit de deux acteurs économiques qui incarnent pour nous le visage d'un Maroc moderne et volontaire. Ce sont des gens qui mouillent la chemise. Et c'est le profil dont a besoin la CGEM pour mener à bien ses missions. Vu que ces deux personnes appartiennent à la sphère des grandes entreprises, ne craint-on pas que les PME-PMI ne soient perdantes dans l'affaire ? Absolument pas. Il faut relativiser. A l'étranger, avec un chiffre d'affaires de 500 millions de dirhams, vous êtes encore une petite entreprise. Dans tous les cas, du point de vue macroéconomique, les soucis des grandes et des petites entreprises sont pareils. Ce sont les mêmes défis face à l'ouverture des frontières, le même désir de créer de la richesse, des emplois et d'engendrer la croissance. Pour moi, il n'y a pas de distinguo à ce niveau entre grandes et petites entreprises. D'ailleurs, il y a beaucoup de petites entreprises qui soutiennent ce tandem. Ce qui nous rapproche ce sont les soucis communs à tous les entrepreneurs. Peut-être aussi une même vision de l'économie, du rôle de l'entrepreneur et de la CGEM ? C'est vrai, il y a une vision commune sur beaucoup de thèmes. C'est important. La réforme des statuts et la mise en place d'un tandem est un début dans le chemin de la modernisation de la CGEM. Nous sommes pour cette vision et aussi pour la baisse du nombre de cooptés dans les structures décisionnelles. Il faut que la confédération patronale enclenche un nouvel élan pour qu'elle puisse attirer de nouveaux adhérents, des gens nouveaux. L'on ne peut pas évidemment arriver à ces résultats sans une forte intégration des Unions régionales. Dans ce sens, le premier geste du tandem fut de se déplacer à la rencontre des régions avant de rencontrer les fédérations. La démarche est nouvelle. Ces problèmes statuaires réglés, la CGEM doit donner un véritable service à ses membres. Mais la CGEM a-t-elle encore du crédit vis-à-vis des opérateurs ? N'assiste-t-on pas à un certain essoufflement ? En tout cas, il y a un réel enthousiasme vis-à-vis de la liste qui se présente aux élections. En atteste le niveau des cotisations, le plus fort que la CGEM ait jamais connu. Avant, on était aux alentours de 12 millions de dirhams à la veille du scrutin. Je peux vous assurer qu'au 20 juin 2006, nous étions à plus de 16 millions de dirhams. Il s'agit d'un signal fort de la part des adhérents qui aspirent ainsi à soutenir un tandem qui vient vers eux et qui s'engage dans le sens des préoccupations de l'entreprise. Mais la partie ne sera pas facile pour les futurs dirigeants de la CGEM. Une candidature unique suppose plus d'exigence dans les attentes des membres. Qu'en est-il aujourd'hui du moral de l'entrepreneur marocain ? De manière globale, la forte augmentation du volume des investissements directs au Maroc prête, en ce qui me concerne, à l'optimisme. Il y a une nette dynamique qui a été enclenchée. Il y a de la place pour tout le monde, grande ou petite entreprise. C'est à nous maintenant, nous les wagons, de nous arrimer aux locomotives, de guetter l'heure du passage des trains. D'autant que les trains arrivent de plus en plus à l'heure dans ce pays ! A vous entendre, les accords de libre-échange ne constituent pas un danger pour l'entreprise marocaine? Est-ce le cas ? Pour vous répondre, je prends l'exemple du secteur avicole que je connais bien. Nous sommes très demandeurs de l'ouverture. Sans celle-ci, nous serions, avec le Japon et la Norvège, le troisième pays le plus cher au monde en termes de coûts de production. Inutile de rappeler la différence entre le pouvoir d'achat du Maroc et ceux des deux pays précités. Les différents accords de libre-échange signés dont principalement celui conclu avec les Etats-Unis (grand fournisseur de maïs et de soja) nous permettent de maîtriser les coûts. Cela, tout en sachant qu'il n'y a pas que la matière première qui compte. L'Etat a donné le signal de la mise à niveau à travers les ALE et à travers la loi 49 – 99 (pour la mise à niveau sanitaire du secteur avicole). On espère maintenant pourvoir exploiter ces acquis avec notamment la future signature du contrat-programme. Indépendamment de l'impact direct lié à la baisse de la matière première, les opérateurs doivent poursuivre le processus de mise à niveau pour améliorer leur productivité. Lorsque l'Etat sanitaire du Maroc le permettra, nous envisageons d'exporter vers l'Europe. Pour le moment, ce n'est pas le cas. Vous parlez d'export. Qu'attendez-vous de la CGEM à ce niveau ? Qu'elle arrête d'abord de faire de la figuration à l'export. Il ne s'agit pas d'assister à toutes les missions ni de courir à tous les salons. Nous devons sortir du système d'amateurisme en préparant d'avance les tournées internationales. Quand on part en mission quelque part, dans un pays, la rigueur vaut qu'on cible les rendez-vous, qu'on choisisse un angle d'attaque. Nous sommes des hommes d'affaires et nous allons à l'étranger pour faire des affaires. Il faut que la CGEM soit une plate-forme pour l'export, une force de frappe. Aussi, je pense qu'il est urgent de professionnaliser les missions en mettant de véritables outils à l'export. Un effort est aussi à fournir de la part des hommes d'affaires. Nous devons sortir du bilinguisme arabe-français, qui nous prive de beaucoup de marchés. Il n'y a pas d'âge pour apprendre de nouvelles langues. Parlons des réformes structurelles. Du point de vue du patronat, quelles sont les priorités ? Comme je le disais, le moral est là, les investissements sont là. Mais il y a des réformes à mener à bout. Parfois, ce sont des choses toutes simples comme l'allégement des démarches administratives. A l'étranger, on ne m'a jamais exigé de certifier un document légalisé. Il faut en finir avec cette pratique. Certes, en général, les délais de traitement des dossiers ont été raccourcis. Mais les procédures, elles, sont restées globalement lourdes. Les grandes entreprises qui ont beaucoup de personnel souffrent certainement moins de ce problème. Mais pour les PME qui doivent mobiliser une ou deux personnes pour des paperasses, le coût est énorme. Quant au débat sur la fiscalité, il doit être lancé, mais de manière sereine… C'est à-dire ? On n'a pas commencé à débattre que déjà l'on se tape dessus entre l'administration et le privé. C'est mathématique. Plus on élargit l'assiette fiscale, plus la pression sur les entreprises baisse. Il faut se donner le temps. Un des points par contre où il faut savoir raison garder est le débat sur la dépénalisation du chèque. Nous pourrons discuter de ce sujet lorsque les conditions optimales seront réunies. Lorsque les tribunaux auront les moyens matériels et humains pour travailler, lorsque les juges seront correctement rémunérés, lorsque les systèmes d'archivage seront plus fiables, lorsque les tribunaux de commerce seront opérationnels, lorsque l'arbitrage sera mis en place, lorsque le conseil de la concurrence sera effectif et lorsque l'informel aura disparu. Dans le cadre d'une économie transparente, nous pourrons entamer la réflexion sur la dépénalisation. Actuellement, le débat est prématuré. Car nous ne pouvons pas demander à l'opérateur privé une garantie sur le chèque, alors que l'Etat continue d'exiger scrupuleusement la certification. Qu'attendez-vous de la future équipe aux commandes de la CGEM ? Nous voulons que le travail de la CGEM soit concentrée sur elle-même. Il ne s'agit pas d'envoyer par courrier une liste de revendications. Il faut se focaliser sur un certain nombre de grands dossiers. Sur le plan de la méthode, nous devons passer d'une logique purement revendicative à une force de proposition argumentée. De plus en plus, il faut rééquilibrer nos relations au niveau des institutionnels. Nous avons certes des relais auprès de différents ministères, mais on oublie souvent les deux Chambres. Or, c'est là que sont votées les lois. Pourquoi n'y venons pas présenter nos projets, notre vision ? Bio Express A 41 ans, Youssef Alaoui est le président de Cicalim, entreprise fondée en 1948 et intervenant dans le secteur de l'aviculture. Il est aussi président de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole (FISA), ancien administrateur de la Caisse nationale du Crédit agricole (CNCA), membre du conseil d'administration de la Confédération générale des Entreprises du Maroc (CGEM), membre du Conseil d'affaires maroco-américain (MATIC), Consul honoraire de la République de Turquie à Casablanca et administrateur de diverses sociétés. Titulaire d'un Master spécialisé (M.S.) obtenu à l' Ecole Supérieure de commerce de Paris (ESCP) et dimplômé de l' Ecole Supérieure de Commerce de Nantes (Audencia) , Youssef Alaoui a été distingué “Chevalier de l'Ordre du Trône“ au Maroc, en 2004 et, l'année dernière, élevé au rang de “Chevalier de la Légion d'Honneur“ en France.