Moulay Hafid Elalamy est serein. Il n'a qu'un objectif : devenir le futur président de la CGEM pour lui donner un nouveau souffle en la recentrant sur sa véritable mission. Celle d'institution au service des entrepreneurs et de l'économie nationale loin des débats stériles et des réflexes du passé. Dans ce sens, le candidat a entrepris une série de rencontres à l'échelon national : Tanger, Agadir, Marrakech, Rabat, Meknès et Fès. Prochaines étapes, Laâyoune et Oujda. Un tour du Maroc pour convaincre. ALM : Candidat à la présidence de la CGEM, quel regard portez-vous sur l'économie marocaine et quelle est votre stratégie pour changer les choses en mieux ? Moulay Hafid Elalamy : Je rencontre les mêmes difficultés que la plupart des opérateurs marocains. Lourdeurs administratives, difficultés, avec les banques etc. Cependant, je ne pense pas que ce soit spécifique au Maroc. Par rapport à la CGEM, en tant qu'opérateurs économiques, nous nous attendons à ce que nos problèmes soient compris, et nos droits défendus et protégés. Nous avons besoin d'être épaulés et accompagnés. Aujourd'hui, beaucoup de patrons ont le sentiment d'être comme des électrons libres face à des situations complexes. Les patrons veulent trouver, auprès de la CGEM, une vision macroéconomique et une capacité d'anticipation. Les opérateurs n'ont pas nécessairement une vision claire par rapport a un marché mondiale en évolution permanente, même lorsqu'il s'agit de leur propre domaine. Le patron est dans une démarche micro-économique dans le cadre de son entreprise et il a au mieux une vision macro-économique par rapport à son environnement national. On attend de la CGEM d'apporter une valeur ajoutée avisée qui puisse permettre à des opérateurs pris dans l'engrenage de leur quotidien et de leur management d'avoir une vision complémentaire et indispensable à leur succès. Ne ressentez-vous pas une certaine frustration à ne pas avoir d'adversaires dans la course au poste de patron des patrons ? Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour en juger. J'aurais certainement souhaité que la présidence de la CGEM attire plusieurs candidats et de profils différents… Cela n'a pas été le cas. Il y avait quelques candidats pré-déclarés mais qui se sont désistés, ce sont des choix personnels que je respecte. J'ai eu des témoignages qui m'ont beaucoup touché, venant même des gens qui se sont désistés, extrêmement positifs qui m'ont dit qu'ils souhaitaient être à mes côtés plutôt que contre moi. Le bureau de la CGEM s'est réuni récemment et a soutenu sans réserve ma candidature. D'un côté, cela fait chaud au cœur car c'est une véritable marque de confiance, mais d'un autre côté, c'est également chargé car les attentes sont énormes. J'ai décidé de mener campagne comme s'il y avait plusieurs candidats : je vais à la rencontre des adhérents, j'expose ma vision, mon projet, mes ambitions et je les écoute surtout. À votre avis, pourquoi vous êtes le seul candidat en lice ? Les prétendants potentiels auraient-ils peur à ce point d'une défaite ? Bien sûr que je me pose la question. Mais franchement ça ne hante pas mes nuits. De cette situation, vous ne concevez aucune forme d'embarras ? Franchement non. Parce qu'à la différence d'un parti politique, prendre la responsabilité de la CGEM ce n'est pas chercher des galons. C'est justement l'une des erreurs que l'on peut commettre en termes d'analyse et de stratégie. Ce n'est pas un bâton de maréchal, c'est une responsabilité. Le Maroc n'est pas en situation où l'économie va aller de mieux en mieux sans volonté de réformes et sans engagement de la part de tous les opérateurs économiques. Toute énergie est importante. Si on était une économie en pleine maturité, le patronat de tous les secteurs confondus n'aurait pas eu beaucoup d'importance, ce ne serait pas si vital ou fondamental. C'est le cas d'ailleurs des Etats-Unis, où il y a plusieurs petits patronats, chaque fédération est un petit patronat en soi, l'économie est tellement importante et lourde que les entreprises n'ont pas besoin d'un patronat à l'échelon national. Chez nous, les attentes sont énormes, c'est une vraie charge que je mesure pleinement surtout dans la situation actuelle. Je pense que les astres sont bien alignés pour le Maroc et comme les astres bougent, ça ne saurait durer éternellement, il nous faut en profiter. Le Maroc attire, actuellement, les investisseurs, les touristes…C'est une vague qui se présente. Ou on va négocier cette vague correctement ou alors la rater, sans savoir si une autre viendra. Quels sont vos reproches à l'égard de la CGEM d'autrefois ? Commençons par ce que j'ai vécu. Lorsqu'il y a eu l'assainissement en 1996, nous avons fait de la politique économique en exigeant que cela s'arrête. Nous avons d'abord demandé l'assainissement mais certainement pas comme il a été mené, c'est-à-dire castrateur. C'était le rôle du patronat. Nous avons alors travaillé main dans la main, solidaires face à un ministre de l'Intérieur très présent. J'avais trouvé beaucoup plus de plaisir à prendre des risques. Ce sont plutôt de bons souvenirs que vous gardez de cette période… Jusque-là c'était très bien. Mais très vite nous avons pris goût à la proximité des ministres et nous sommes passés d'une opposition farouche et justifiée à une relation amicale où on n'intervenait plus dans l'économie sans demander l'accord d'un ministre qui ne s'y connaissait pas forcément. C'est cette position qui m'a gêné et c'est pour cela que j'ai quitté la CGEM. Je trouvais que nous avions perdu notre âme. La CGEM n'a à être ni pour ni contre un gouvernement. Ce n'est pas au patronat de nommer un Premier ministre ou de participer à la constitution d'un gouvernement. Une fois que ces responsables nommés, vous êtes obligés de traiter avec eux en bonne intelligence afin de contribuer ensemble à l'évolution du pays. Il y a une distance normale à conserver. La CGEM prétend ou du moins exige aujourd'hui, une indépendance. Mais c'est à elle d'instaurer et de préserver cette indépendance. Nous sommes passés de l'excès d'être contre à l'excès d'être pour et re-excès d'être contre. Nous n'avons pas le droit d'être contre un ministre des Finances ou un directeur des Impôts. Ce n'est ni notre rôle, ni dans notre intérêt. Selon vous, quelle est la meilleure démarche pour se faire entendre en vue de changer les choses ? La critique est-elle suffisante ? Critiquer seulement dans la mesure où nos besoins et nos demandes ne sont pas pris en compte. Critiquer est un art subtil. Ne perdons pas de vue que notre objectif est d'obtenir des résultats tangibles, et cela passe d'abord par l'instauration d'un dialogue constructif. Ce dialogue peut difficilement s'établir par presse interposée. La presse est à mon sens une étape ultime dans ce processus. Quelle est votre appréciation du bilan du président sortant Hassan Chami ? J'ai eu à m'entretenir avec lui et nous avons échangé sur tout. Dans le cadre d'une mission de président de la CGEM, les idées politiques ne peuvent être que personnelles et elles ne concernent pas le patronat. Le président de la CGEM doit défendre mes intérêts d'opérateur économique. Et mes intérêts consistent à trouver des solutions à mes problèmes d'entrepreneur. C'est cela sa mission. Quand il dit ce qu'il pense à titre personnel, il ne peut pas le faire sous la casquette de la CGEM , sinon il me nuit. C'est là toute la subtilité. Quand vous êtes président de la CGEM, vous devenez le représentant des patrons et vous avez l'obligation d'effacer votre personnalité. Votre mission n'est pas de défendre votre point de vue, il n'intéresse personne. Parler de bonne gouvernance, de votre point de vue, fait-il partie de la mission de la CGEM ? Ce n'est pas à la CGEM de parler de gouvernance. Cela regarde les partis politiques et les journalistes. Même si moi en tant que citoyen marocain, je suis clairement concerné par cela… Le patron a en face de lui un Premier ministre, un ministre des Finances et un autre du Commerce et de l'Industrie. Ils ont la responsabilité de régler mes problèmes, mais je ne dois me tromper de discours. Ce n'est pas de mon ressort de dire que ce Premier ministre est bon ou ce n'est pas le bon parti qui est au pouvoir. Est-ce que vous avez la capacité en tant que patron de voter pour ces gens-là ? On se trompe de combat. En tant que CGEM, votre vrai combat est de travailler efficacement avec ce Premier ministre. Si en revanche vous voulez jouer à ce jeu-là, il y a d'autres moyens de le faire. Rentrez dans un parti politique, engagez-vous, battez-vous et prenez sa place. Mais si vous vous positionnez en juge, vous pouvez prendre des claques et devenir contre productif pour les intérêts de la CGEM. En bref, si l'action ne défend pas et de façon optimale les intérêts des adhérents, ce n'est pas mon credo. Comment faire pour que le Maroc crée plus de fusions économiques à l'image de Attijariwafa bank ? Si vous parlez des champions nationaux, je suis en leur faveur pour des raisons économiques et j'espère en être un jour. Je suis un adepte de cette vision pour l'avenir du Maroc. Je connais l'ONA de l'intérieur et j'ai travaillé longtemps avec Fouad Filali dont la stratégie était de pousser les groupes concurrents. Au début, je restais perplexe doutant de la pertinence de sa stratégie. Par la suite, j'ai compris qu'on ne peut pas être seul paquebot en mer... Le groupe ONA est-il comme certains le pensent un groupe qui continue à bénéficier de toutes les attentions ? C'est une analyse simpliste à mon sens. On peut me reprocher d'être complaisant, même si je n'ai aucune raison de l'être. Comprenez bien que je n'ai rien à défendre, seulement il se trouve que l'ONA est un groupe que je connais bien et de l'intérieur. C'est certes un mastodonte mais qui a aussi besoin de faire face aux difficultés de la mondialisation, aux défis de la libéralisation économique, aux effets de la diversification, etc… Avec tout le respect que je dois aux opérateurs économiques qui en parlent, je pense qu'ils ne savent pas ce qu'il en est. Parlons de certaines filiales de l'ONA puisque vous insistez: Cosumar connaît aujourd'hui un grand challenge ; Lessieur se bat contre un concurrent international de taille. Voilà quelqu'un qui a osé et qui n'a pas eu de représailles…Hier, n'importe quelle banque aurait pu acheter la Wafabank. Il y a eu des gens qui s'y sont intéressés mais qui ont traîné parce que la maison-mère n'a pas dégainé rapidement. Personnellement, je pense qu'il faut arrêter de se trouver de mauvaises raisons pour ne pas entreprendre, investir, gagner des parts de marché. Je parle en connaissance de cause puisque le groupe que je dirige est en concurrence directe avec une filiale de l'ONA dans le domaine de l'assurance, et franchement, cela ne nous gêne en rien. Au contraire, cela nous force à être plus compétitifs et plus créatifs. Je vous concède qu'il y a dix ou quinze ans, l'ONA pouvait gêner par son aura et on avait du mal à imaginer la concurrence dans l'huile par exemple. Mais la donne a changé aujourd'hui et les exemples qui le prouvent ne manquent. Les choses ont donc bel et bien changé ? Nous vivons une nouvelle ère. Personnellement, je suis plutôt optimiste si le Maroc continue d'évoluer dans ce sens, qui est le seul sens possible d'ailleurs. L'ONA n'a pas que des affaires faciles dans des domaines florissants. Et ne l'oubliez pas, il y a beaucoup de travail derrière tout cela. La banque est une affaire qu'ils ont faite à la sueur de leur front. Ils en ont d'ailleurs payé le prix puisque la fusion a été pour le moins difficile. Mais c'est une réussite de nature à créer un modèle régional.
Comment voyez-vous les grands projets émiratis lancés au Maroc ? Représentent-ils une belle opportunité pour l'économie marocaine ? Je suis extrêmement favorable à ce type d'opérations. Cela peut déplaire, mais je l'assume complètement. Nous avons une économie qui n'a pas été facile à faire évoluer. Il y a 13 ans, j'ai contribué et suivi la démarche pour ramener des fonds d'investissements au Maroc. Nous avons supplié des fonds d'investissements comme Soros pour venir au Maroc. Actuellement, Saham qui n'est ni l'ONA, ni le groupe Benjelloun est courtisé par beaucoup de fonds, y compris Soros. Il demande, et par la petite porte, de rentrer dans nos affaires. Il vient parce qu'il y a eu un élément déclencheur quelque part. Si le prix à payer est d'accélérer la cadence, c'est une démarche excellente pour l'économie de notre pays. Certains hommes politiques revendiquent une révision de la Constitution. Qu'en pensez-vous ? En tant que candidat à la présidence de la CGEM, je n'ai pas d'avis sur ce sujet-là, je maintiens donc ma position là-dessus : ça ne regarde pas le patronat.