Le traitement inégalitaire des différents racismes est le plus sûr moyen de renforcer les communautarismes. L'indignation à géométrie variable, voilà l'ennemi d'une société déjà gravement fragmentée Vous avez certainement entendu parler du meurtre d'Ilan Halimi. Ce jeune Français de confession juive qui, suite à un stratagème diabolique, fut kidnappé, séquestré durant trois semaines, torturé, puis, dans la panique, relâché à moitié mort et, à trois quart, brûlé vif. La barbarie dans son éclat. L'émotion provoquée par ce crime infâme était infinie. Elle a touché tout le corps social. On a découvert que derrière le crime, il y avait un "cerveau des barbares" comme si les mots cerveau et barbares n'étaient pas antinomiques. Et puis on a parlé d'antisémitisme. Et là, il y a quelque chose de nauséeux qui s'est emparé de la société. On organisa alors une immense séance d'exorcisme républicain avec cérémonie religieuse, manifs, déplacement du président de la République, du Premier ministre, des présidents de partis, des responsables des cultes et Tutti Quanti. Vous avez certainement moins entendu parler de la mort d'un gendarme français dans une des ces îles paradisiaques des Caraïbes. Raphaël Clin, le gendarme en question, fut heurté par une moto. On ignore si c'était un acte délibéré ou si c'était un accident. Mais il se trouve que le pandore va agoniser, dit-on, sous les injures racistes anti-blancs proférées par des jeunes noirs. L'émotion, ici, sera plus tempérée même si elle est évidente. Après le déplacement du ministre de la Défense, c'est monsieur Sarkozy himself qui va se coltiner, aujourd'hui même, la démonstration de la solidarité métropolitaine et gouvernementale. Vous avez encore moins entendu parler de Chaïb Zehaf. Ce monsieur est un père de famille d'origine algérienne. Il habite dans la banlieue lyonnaise. Il fut abattu samedi dernier à la sortie d'un bar. Ce mec ne connaît même pas son assassin. Il se fait flinguer à bout portant. Apparemment, le drame s'est produit dans une ambiance fortement alcoolisée Des témoins auraient entendu l'assassin proférer «sales Arabes» et «sale race». Le plus cocasse, c'est que le meurtrier est vraisemblablement de confession juive. Le cousin de Chaïb, présent et blessé durant l'altercation, est convaincu qu'il s'agit d'un crime raciste. Sauf que le procureur de la République refuse ce qualificatif. Mercredi, il y a bien eu une marche silencieuse, dans la banlieue lyonnaise, pour réclamer la reconnaissance du crime raciste. Mouloud Aounit, président du MRAP, a fait le déplacement. Pas les autres. Un Arabe, c'est tellement fait-divers… Il y a, en France, certains mécanismes qui commencent à devenir pavloviens : tout fait-divers impliquant l'altérité peut convoquer le spectre du racisme ou celui de l'antisémitisme. C'est une dérive inquiétante et dangereuse. C'est le contrecoup d'un débat public et politique largement pollué par un communautarisme vivace et une insécurité tenace. C'est, somme toute, l'échec le plus patent du système Sarkozy. Plus grave encore. Le traitement inégalitaire des différents racismes est le plus sûr moyen de renforcer les communautarismes. L'indignation à géométrie variable, voilà l'ennemi d'une société déjà gravement fragmentée.