Depuis le 25 mai 2000, une Loi a rendu l'enseignement fondamental obligatoire. Mais qu'en est-il dans la réalité ? Il est 17H 20, quelques minutes avant la rupture du jeûne. Les rues sont presque désertes. Devant l'épicier encore ouvert se tient Aziza, entre 13 et 15 ans. Un vent sec et froid lui cingle la chair. Elle grelotte, frotte des mains rêches contre une jupe de velours qui a dû faire le bonheur d'une adolescente fortunée, il y a une vingtaine d'année. Là, le regard hagard et le sourire béat face aux histoires marines de l'épicier, elle attend la dernière livraison de pain. Aziza est comme toutes ces jeunes filles (elles seraient plus de 13.000 dans la seule ville de Casablanca) qui, un peu partout dans le Maroc, servent de « bonnes » dans les maisons au lieu d'aller à l'école. Ces filles, généralement d'origine rurale, ont été conduites dans les grandes villes par des smsars qui ont réussi, profitant de l'ignorance et de la pauvreté, à convaincre les parents de leur confier leur progéniture. Abderrafih Tahiri-Joutei, secrétaire général de l'association Insaf, les dénonce d'ailleurs comme étant : «des trafiquants illégaux d'enfants.» Le problème ne s'arrête pas là, puisqu'en plus du fait que ces filles ne poursuivent pas leur scolarité, elles sont également sujettes à beaucoup de sévices de la part de leurs employeurs. D'après Meriem Othmani, présidente d'Insaf, «les fiches de l'association montrent qu'une grande partie des 450 mères célibataires que nous avons soutenues étaient d'anciennes petites bonnes. » La source de ces maux réside donc dans le travail des enfants. En effet, selon Meriem Othmani, 50.000 enfants seraient utilisés comme main d'œuvre à vil prix. Mais parmi ces enfants-travailleurs, le cas qui préoccupe le plus reste celui des petites filles. Chez la plupart d'entre elles, le docteur Abderrafih Tahiri-Joutei a constaté une déstabilisation, une non-émancipation, une absence totale de repaires et une incapacité à se définir. Constat alarmant s'il en est. C'est pourquoi un travail considérable commence à être accompli dans ce domaine. Il s'agit de convaincre toutes les parties concernées par le phénomène, d'œuvrer pour l'application de la loi N° 04-00 relative à l'obligation de l'enseignement fondamental. C'est dans ce sens que l'association INSAF mène, depuis déjà une année, une campagne, qui s'étendra jusqu'en 2002, pour informer et sensibiliser à la scolarisation obligatoire. Le défit est de taille, car si la loi sur la scolarisation obligatoire trouve un écho favorable dans les villes, cela est loin d'être de même pour ce qui est du monde rural. Les résistances sont réelles et le discours des ONG sur le sujet a du mal à passer.