La fiscalité, au centre des préoccupations des entreprises marocaines fera l'objet d'une journée de réflexion au sein de la CGEM. Le spécialiste, Rachid Lazrak annonce la couleur. Entretien. ALM : Dans son état actuel, faut-il considérer le système fiscal marocain comme un moteur ou un frein au développement de l'entreprise ? Rachid Lazrak : Le système fiscal marocain, malgré ses limites et ses imperfections, n'a rien à envier aux systèmes fiscaux des pays les plus avancés. Par certains de ses aspects, il se présente comme un système incitatif, en pleine mutation, et garantissant globalement les droits de l'entreprise. Donc, par son caractère moderne, par les nombreuses incitations et par les garanties qu'il accorde aux contribuables, on peut considérer le système fiscal marocain comme un véritable moteur pour le développement de l'entreprise. Cependant, malgré ses aspects positifs, ce système comporte de nombreuses limites et à ce titre, il constitue, souvent, un frein au développement de cette entreprise. Ces limites sont liées à la conception même des textes fiscaux. A titre d'exemple, je citerais les nombreuses modifications qui interviennent, à l'occasion des lois de Finances, à tel point que l'on peut parler de «jungle de textes fiscaux», pas toujours compréhensibles pour l'expert le mieux averti, pour ne pas parler du simple contribuable. On peut reprocher à notre système également l'absence d'une fiscalité des groupes, ce qui n'est pas susceptible d'encourager les opérations de concentrations, au moment où le Maroc s'est engagé dans la voie de l'ouverture économique. Les limites tiennent, aussi, à l'application des textes fiscaux où l'on voit de simples circulaires administratives prendre le pas sur la loi ; ce qui crée, souvent, une tension dans les relations entre l'administration fiscale et l'entreprise, à un moment où l'on constate un recul dans les garanties accordées au contribuable par les textes mis en place, à l'occasion de la réforme fiscale des années 80. Lors de sa conférence de presse, le président de la CGEM a émis le souhait d'une réflexion sur la réforme fiscale et la nécessité de revoir certains aspects de l'IS, l'IR et de la TVA, que pensez-vous de cette proposition ? Est-ce que les demandes de la CGEM sont réalisables ? Concernant la réforme fiscale, je pense qu'il y a lieu d'apporter certaines précisions. D'abord, il faut reconnaître que l'administration fiscale a engagé des efforts importants depuis une dizaine d'années, dans la voie de la modernisation, de l'harmonisation et de la simplification du système fiscal. Ces efforts aboutiront, dès le 1er janvier 2007, à la promulgation d'un véritable «Code général des impôts». Par contre, la grande réforme fiscale, engagée dans les années 80, commence à être dépassée, compte tenu du développement économique et social que le Maroc a connu et surtout du contexte que la mondialisation nous a imposé, car la mondialisation est aussi fiscale.Aussi, il est impératif d'engager une grande réflexion, notamment, en ce qui concerne les incitations fiscales, d'autant plus que la charte de l'investissement, adoptée depuis 10 ans en 1995, est arrivée à son terme en 2005. Cette réflexion devrait, à mon avis, ne pas aboutir, comme le laisse entendre l'administration fiscale à la suppression des exonérations fiscales, car ces exonérations existent dans le monde entier et les supprimer entraînerait nécessairement une réduction des investissements qui iront dans des pays plus accueillants, sur le plan fiscal, car comme je l'ai dit «la mondialisation est aussi fiscale». A mon avis, la réflexion doit viser à évaluer l'impact économique et social des avantages fiscaux accordés depuis dix ans, et à partir de cette évaluation, cibler les secteurs porteurs pour le pays et leur apporter toute l'aide nécessaire. Il faudrait, aussi, dans le cadre d'une politique audacieuse, ramener le «secteur informel» dans le giron de la légalité en lui accordant des taux d'imposition plus réduits, comme cela se pratique dans les autres pays. Que pensez-vous des dispositions fiscales de la loi de Finances 2006 ? Il faudrait d'abord rappeler que la loi de Finances 2006 constitue une étape importante dans la création d'un «Code général des impôts», car il comporte le «livre d'assiette et de recouvrement» des principaux impôts : l'IS, l'IR, la TVA et les droits d'enregistrement. A ce titre, on ne peut que se féliciter des efforts déployés par l'administration fiscale pour créer, enfin, un Code général des impôts, à l'horizon de 2007. Cependant, si l'effort est louable, la méthode est regrettable. En effet, la loi de Finances 2006 comporte pas moins de 227 articles qui ont été soumis au Parlement pour les voter, dans un laps de temps très court. Ce qui pose, franchement, un problème de contrôle politique du Parlement sur l'action du gouvernement, surtout quand il s'agit de dispositions fiscales importantes qui vont marquer le paysage fiscal du pays, pendant de très nombreuses années. Le problème me semble d'autant plus grave qu'il y a de nombreuses dispositions nouvelles qui consacrent dans la loi, soit des dispositions de notes circulaires (dividendes occultes…), soit des pratiques fiscales contestées par le contribuable (le glissement du contrôle fiscal vers le contrôle comptable…).