Les centres de détention ne doivent plus constituer un tabou. Le propos est de Driss El Yazami qui s'exprime sur le forum national de la réparation. Une manière pour l'IER de clore en beauté son mandat. Entretien. ALM : Que représente le Forum national sur la réparation dans le processus initié par l'IER depuis sa création ? Driss El Yazami : Conformément au mandat de l'IER et au plan d'action mis en place, nous avons d'abord procédé à une évaluation de l'énorme travail, encore trop méconnu, réalisé par l'Instance indépendante d'arbitrage et le gouvernement de M. Youssoufi en matière d'indemnisation, de réintégration professionnelle des anciens détenus,… étudié les autres expériences internationales en matière de réparation, puis élaboré progressivement une nouvelle doctrine en la matière. Il est donc temps d'en informer l'opinion publique mais aussi et surtout d'approfondir le processus de concertation avec tous les acteurs, publics et privés, susceptibles de contribuer à l'élaboration de recommandations précises dans ce domaine et de veiller à leur mise en œuvre. Il faut rappeler à cet égard que notre nouvelle approche n'a pas été élaborée en vase clos, mais aussi à partir de l'étude des mémorandums que nous avons reçus et à partir des conclusions des séminaires organisés depuis septembre 2004 par des dizaines d'ONG à Agdez, Figuig, Errachidia, le Rif,… et auxquels nous avons participé. Concrètement, quel dessein peut-on espérer pour les localités ayant abrité, ou été à proximité, des lieux de détention secrets ? Le séminaire est appelé justement à réfléchir sur cette problématique, et c'est une des questions qui a été le plus discutée dans les séminaires auxquels je faisais allusion. Sans conclure définitivement, on peut d'ores et déjà dire que ces centres ne constituent plus un tabou : grâce aux témoignages d'anciens détenus et aussi grâce à l'IER, qui les a ouverts à la presse nationale et internationale. Il s'agit pour nous de rendre d'abord justice aux victimes qui y ont séjourné et à leurs familles, notamment en réglant la question des dépouilles. Nous nous y employons activement. Mais nous estimons aussi qu'il y a eu des victimes indirectes de ces centres, à savoir les populations et les communautés environnantes. Notre objectif à cet égard est double : clarifier le statut actuel et à venir de ces lieux, et réfléchir avec les autorités, au niveau central mais aussi localement, et les acteurs associatifs à leur ré-affectation pour des projets au service d'un développement durable au profit des populations. En un mot, notre rêve, et je crois pouvoir le dire, celui des habitants de ces régions, est de faire de ces lieux, hier synonymes de violation des droits, des espaces emblématiques du Maroc de demain, des espaces de citoyenneté active. Quelle est concrètement l'approche de l'IER en matière de réparation ? Cette question se réduit-elle à une simple indemnisation des victimes ? Loin de là. La doctrine de l'IER en matière de réparation s'inspire des principes de justice et d'équité tels que pris en compte dans les expériences de justice transitionnelle. A cet égard, la réparation comprend l'ensemble des mesures prises au bénéfice de la victime directe ou ses ayants droit, en compensation des préjudices matériels et moraux subis, compte non tenu des mesures de portée générale ou collective. Les modalités de la réparation peuvent donc comprendre l'indemnisation, mais aussi la réintégration, la réhabilitation, la restitution, la préservation de la mémoire et les garanties de non-répétition, et ces mesures doivent être proportionnelles à la gravité des violations. Dans cette nouvelle approche, l'IER considère qu'outre les indemnisations dues aux victimes des violations graves des droits de l'Homme, la réparation doit notamment intégrer une dimension communautaire en direction des régions et des communautés locales touchées par ces violations, la dimension genre, la santé et la préservation de la mémoire. Les femmes seront-elles une fois encore les oubliées de la réparation ? Nous espérons bien que non et nous faisons notre maximum pour que cela ne soit pas le cas. C'est la raison pour laquelle nous consacrons un des quatre ateliers du séminaire à la dimension genre. On y parlera notamment des premières conclusions de l'étude nationale sur les femmes, les violations et la réparation impulsée par notre collègue Latifa Jbabdi. Une équipe de six jeunes sociologues marocaines rassemblées par le professeur El Harrass vient d'achever cette enquête. Mme Ruth Rubio, experte auprès du Centre international de justice internationale de New-York, qui cordonne en ce moment même une étude internationale comparative, participera aussi à tous nos travaux.