Mohamed Ali El Hassani, professeur à l'université Mohammed V de Rabat et membre du Bureau politique de l'Union Constitutionnelle, donne son point de vue sur l'action du gouvernement en matière économique. ALM : Quel bilan peut-on faire, aujourd'hui, de l'action gouvernementale en matière économique? Mohamed Ali El Hassani : Tout d'abord, je tiens à préciser, en ma qualité d'homme politique, que je ne fais pas dans le saucissonnage quand il s'agit d'évaluer les performances d'un gouvernement. Le bilan doit être général, et porter sur les aspects politiques, sociaux et économiques. Pour réussir dans l'économique, il faut avoir une équipe politique capable de redonner confiance aux citoyens. Force est de constater que le gouvernement actuel n'a pas une stratégie claire. Certes, elle s'inscrit dans le cadre du libéralisme, mais l'équipe au pouvoir est incapable de mettre en œuvre une feuille de route à même d'en finir avec ce pessimisme ambiant qui caractérise le Maroc. Pourtant les chiffres mis en avant sont plus que reluisants. Vous l'avez bien dit, les chiffres sont mis en avant dans un objectif bien précis. Il s'agit évidemment de montrer le bon côté des choses. Certes, il y a des aspects positifs ; cependant, on passe sous silence les chiffres moins reluisants. Quels sont, selon vous, les points forts du bilan économique gouvernemental? Grâce à SM le Roi, le Maroc s'est attaqué à deux grands chantiers: le développement économique du pays et la lutte contre la pauvreté. Le tout, en donnant un intérêt particulier à la jeunesse. A côté de cela, on constate que le Premier ministre Driss Jettou ne s'intéresse qu'aux aspects économiques, éludant ainsi le côté politique, laissé à d'autres. En tout cas, on parle d'une bonne croissance pour l'année 2003 et même 2004. En fait, sur le volet économique, il faut voir les chiffres avec un œil critique. Justement, quels sont les points négatifs que vous avez relevés? Si la croissance économique est bonne, comme le soutient le gouvernement, on constate qu'elle n'a donné lieu à aucune création d'emplois. Sous d'autres cieux, la croissance économique signifie toujours baisse du chômage. Chez nous ce n'est pas le cas. Dans certains secteurs, comme le textile, ce sont carrément des suppressions d'emplois qui sont au rendez-vous. En outre, la croissance reste éminemment dépendante de l'agriculture. Il faut donc garder les pieds sur terre. Pourtant, des secteurs comme le BTP ont connu un renouveau certain. Effectivement, nous avons noté un léger frémissement au niveau des BTP. Mais signalons que cela n'a été possible que grâce au lancement par SM le Roi de projets d'envergure. J'entends par là, le port Tanger-Méditerranée et le programme d'habitat social. Qu'en est-il de l'investissement? Justement, les défenseurs du bilan gouvernemental nous ont présenté les chiffres sur l'investissement de manière très erronée. Et pour cause, ils ont mélangé entre les investissements étrangers réels et les prêts. En outre, une bonne partie de ces investissements extérieurs sont le fruit des privatisations de la Régie des Tabacs et de la Somaca. La balance des paiements demeure tributaire des transferts des MRE et du tourisme. Deux facteurs qui dénotent une réelle fragilité et l'instabilité de cette balance. Même chose pour l'endettement externe, qui a certes baissé, mais au détriment de l'endettement interne. Ce qui n'est pas sain. On parle également d'un accroissement de la consommation. Qu'en pensez-vous? Sur ce point, je tiens à préciser qu'il y a un sérieux risque inflationniste. Les ménages marocains vivent au-dessus de leurs moyens. Ils se sur-endettent, car ils sont victimes de la publicité à outrance. Sachez, toutefois, qu'aujourd'hui, entre 19 et 20% de la population vit avec moins de 1 dollar par jour. Cette frange sociale ne représentait que 13% au début des années 1990. Le secteur informel se développe. 60% de la population est analphabète. Le travail des enfants s'accroît. 14% des Marocains vivent dans des bidonvilles, 70% des ménages ruraux ne disposent pas d'eau potable et quatre Marocains sur cinq n'ont pas d'assurance maladie. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. Donc ce n'est plus seulement une question de confiance? C'est une question de confiance d'abord, mais également une affaire d'efficacité. Prenons l'exemple du secteur de la pêche, par exemple. Après la décision de non-reconduction de l'accord de pêche, on espérait créer 100.000 nouveaux emplois et doubler le volume des exportations en cinq ans. Aujourd'hui, nous sommes loin de ces objectifs. Même constat pour le Plan quinquennal, préparé par l'ancien gouvernement, et qui est aujourd'hui totalement occulté. Si le gouvernement est incapable de planifier et de respecter ce plan, qu'il le dise clairement.