Invité pour la 2ème fois au Festival de Rabat, Marcel Khalifa n'a pas manqué de surprendre. En «Messager de la paix», titre que l'Unesco lui a récemment accordé, ce grand chanteur engagé a animé samedi dernier une soirée exceptionnelle au Palais Tazi. Ce samedi 23 juillet, le Palais Tazi était à bout de patience. Il était à peine 20 heures, le début du concert était encore loin. A 21 heures, « seulement » ?! Mais voilà, les gradins crépitaient déjà d'applaudissements. Arrivées en ordre dispersé, les foules n'avaient qu'un seul nom à la bouche : «Marcel, Marcel». A l'entrée, les «retardataires» avaient hâte de franchir le détecteur de métaux. Franchi ce cap, il leur restait de décrocher une place parmi la foule qui s'échauffait. Des cris par-ci, des coups de sifflet par-là… Rien n'y fait. A 21 heures, Marcel n'était encore pas monté sur scène. Alors, la fièvre monte encore plus. Le chahut, aussi. Un quart d'heure plus tard, une voix tranche avec ce tourbillon sonore. Hassan Nejmi devait présenter un Marcel qu'on ne présente plus. L'ex-président de l'Union des écrivains du Maroc le comprendra. En coulisse, Marcel devait prendre son souffle avant de faire apparition. Entre-temps, les membres de sa troupe «Al Mayadine» se succédaient sur scène, l'un après l'autre. Passée cette procession, Marcel fait une entrée triomphale sur scène. Vêtu de noir, le col entouré d'une écharpe rouge, le luth en bandoulière, il sera prié de dire un mot. Il fit non de sa main. Pas un seul mot, donc. Mais si, le grand artiste a tout dit ou presque à la veille du concert, lors d'une conférence de presse à l'Hôtel Farah de Rabat. Sa désignation «Messager de la paix» par l'Unesco ; le procès qui lui a été intenté il y a cinq ans au Liban à l'instigation des intégristes qui lui reprochaient d'avoir porté atteinte à «Joseph», en interprétant un poème de Mahmoud Darwich inspiré de l'histoire du Prophète ; l'assassinat douloureux de son ami d'enfance, le journaliste Samir Kassir, en représailles à ses positions sur l'occupation syrienne du Liban ; la situation chaotique dans laquelle se trouve le pays du Cèdre après le meurtre de Rafik Hariri ; la poursuite de l'agression sioniste israélienne contre les Palestiniens, et de l'occupation anglo-américaine de l'Irak… Que faut-il ajouter ? Le grand Marcel se lance dans une longue diatribe contre les chaînes satellitaires arabes, vecteur de la médiocrité. La chaîne musicale «Rotana» est nommément montrée du doigt, son patron le Prince Talal Ibn Abdelaziz également. La liste est longue. Alors, abrégeons. L'engagement du sublime Marcel est resté intact. Qu'en est-il de sa musique ? Or voilà, depuis ces deux dernières années, Marcel était occupé à se passionner, à rêver, pour nous réinventer un style original. L'artiste en a présenté une partie lors de sa dernière tournée dans sept villes du Royaume, à l'invitation des Instituts français du Maroc. Si le texte poétique était fort présent dans son ancien répertoire, cela ne devait pas occulter un atout souvent oublié : Marcel Khalifa est d'abord un virtuose de génie. En jouant une musique purement instrumentale, il aurait voulu donner la pleine mesure de son talent de compositeur. C'était ce talent qu'on a eu l'occasion d'apprécier ce samedi soir. Les instrumentistes, des professionnels de la percussion, du piano, de la contrebasse, de la clarinette, devaient se produire en solo, ou donner la réplique aux belles mélodies que jouait Marcel ce soir sur son luth. Le chant n'était pas non plus en reste. Tantôt seul, tantôt accompagné de la voix soyeuse d'Oumaïma, Marcel a multiplié les chansons, des anciennes mais aussi de bien nouvelles. «Montassiba Al qamati amchi…», «Asfour talli mni chibbak » (qu'il a dédiée à tous les Palestiniens maintenus en détention dans les prisons israéliennes, à tous les détenus arabes se trouvant dans les prisons arabes)… Pour les nouvelles chansons, il y en a eu une qui a suscité beaucoup d'émotion: Celle qu'il a dédiée à son ami martyr, Samir Kassir, une oraison funèbre en souvenir de son ami et un hymne fait plus globalement à la vie. Le concert s'est terminé tard dans la nuit, au-delà de minuit, sur une célèbre chanson du Cham «Ya bahriyi», qui a fait danser le public sur les rythmes «dabkeh». Le genre de soirées qui resteront peut-être inoubliables.