L'enseignement est la pierre angulaire de toute refonte identitaire. L'adhésion à la Nation est incompatible avec le sentiment d'injustice sociale née d'un système rentier qui perdure et affiche son chantage à l'Etat. «La vie pour laquelle on n'accepte pas de mourir ne mérite pas d'être vécue». A. Malraux Sayed Qomni était un intellectuel égyptien libéral, anti-intégriste. Les lecteurs marocains arabophones le connaissent au travers de multiples articles, publiés par «Al Ahdath». Il a passé sa vie à combattre l'islamisme politique et l'arrière-garde nassérienne. C'est lui l'auteur de la célèbre boutade «cela fait 14 siècles qu'Abou Houraira raconte, il est temps qu'il se taise». Cet homme vient de déposer les armes. Menacé de mort par les nouveaux barbares, il a annoncé qu'il n'écrirait plus, ne parlerait plus, qu'il reniait tout ce qu'il avait écrit, dit, pensé et qu'il implorait les intégristes d'épargner sa vie et celle de sa famille. Il n'avait sûrement pas lu Djaout, le francophone, qui disait « tu parles tu meurs, tu te tais tu meurs alors parle et meurt ». La réaction des intellectuels engagés est très partagée. Ainsi Chaker Naboulsi le traite de lâche, de misérable lâche : Naboulsi vit aux USA et dirige une association financée à hauteur de 10 millions de dollars par Washington. En contrepartie il qualifie l'invasion de l'Irak de début de la démocratisation du monde arabe et de «Fath Majid». Par contre, les intellectuels égyptiens mettent en cause l'atonie de la société. Les rares voix anti-intégristes sont seules face au fascisme barbare, le courage dans ces conditions confine à la tendance suicidaire et déjà dans le passé Taha Hussein et surtout Abderrazik ont dû faire amende honorable, face aux pressions intégristes. Faut-il juger un homme qui a peur de se faire massacrer sous les applaudissements du public ou tout au moins en l'absence de toute réaction de la société ? Pour ma part, je suis convaincu que le courage individuel a des limites. En Egypte, le combat contre l'intégrisme dure depuis 50 ans. Parce qu'elle a choisi de mener ce combat à l'intérieur de la référence religieuse. L'élite a isolé les libres-penseurs et permis leur liquidation. Quand ce ne sont pas les agents exterminateurs, c'est la justice qui se charge de la sale besogne. La rupture avec le champ référentiel supposé commun se paye cash. Au Maroc, nous n'en sommes pas là, mais nous en prenons le chemin. La société réagit avec de moins en moins de vigueur à la tentative d'ériger un magistère moral sur toutes les activités humaines. Des projections sont interdites à l'intérieur de l'enceinte universitaire, des individus sont excommuniés, des festivals sont bannis dans les mosquées, sans que la réaction soit à la mesure de la gravité des faits. Nos intellectuels, dans la majorité des cas, ont déserté le combat idéologique, souvent coincés par le «Nous sommes tous Musulmans » censé refroidir les ardeurs, et parfois par pure lâcheté. Ce combat est nécessaire, il n'est pas suffisant. Eradiquer l'intégrisme, père-géniteur de la barbarie présuppose la modernisation de l'Etat et de la société. C'est une bataille multiforme sur fond de pression… du chronomètre. Le concept sauveur est celui de la Nation. La redéfinition de notre identité est essentielle à la résistance. Cette redéfinition doit aussi avoir un contenu social. La question amazigh nécessite aussi le développement du Rif et des régions excentrées. L'enseignement est la pierre angulaire de toute refonte identitaire. L'adhésion à la Nation est incompatible avec le sentiment d'injustice sociale née d'un système rentier qui perdure et affiche son chantage à l'Etat. Pour ouvrir ce débat-combat, une centaine de militants politiques et associatifs élaborent actuellement un projet d'association politique nationale (cf www.nation.modernitemaroc.org). Ce n'est pas l'unique voie de la résistance, mais c'en est une. Stopper la barbarie exige l'implication de tous. Les quelques intellectuels en vue dans ce combat ne sont que des témoins, tant qu'ils ne reflètent pas un mouvement structuré de refus de la société! Sayed Qomni a cédé, il n'est ni lâche ni héros, il est victime d'un mouvement fasciste qui lui a confisqué sa liberté. A ce titre, il mérite notre entière solidarité. Il faut rompre avec cette tradition arabe qui consiste à chercher l'homme providentiel pour mieux cacher l'incapacité d'une société. Sayed Qomni s'est exposé pendant 30 ans, que faisaient ses juges?