Politiques et journalistes se trouvent pris dans le piège des épiphénomènes au lieu de s'attaquer aux véritables enjeux du pays. C'est l'avis de Jamal Eddine Naji, expert en communication, pour qui les deux catégories se sont engagées dans un processus suicidaire. Fait divers, dévoiement mutuel…en sont les ingrédients essentiels. Jamal Eddine Naji est impitoyable pour les politiques comme pour les journalistes. Le prof de presse écrite et expert en communication vient de publier une tribune, dans plusieurs quotidiens de la place, où il analyse le devenir des uns et des autres après des décennies d'Indépendance. Naji commence par s'interroger sur ce qui a changé après une moitié de siècle où l'hégémonie était plutôt au politique au détriment du journaliste. Le premier se complaisait dans l'autosatisfaction, prônait des rafistolages comme stratégie d'action et occultant par la même occasion de s'attaquer aux véritables problèmes du pays, des citoyens. En un mot, le politique a plutôt été obnubilé par les épiphénomènes. Résultat, selon Naji : le Maroc héritera des bidonvilles, une arabisation à tous les échelons et la pieuvre obscurantiste, entre autres vrais phénomènes. Le deuxième, le journaliste, lui, s'est égaré dans l'encensement ou avait alors les mains liées par la censure ou l'autocensure quand il n'a pas été réduit, s'est réduit, à l'état de militant discipliné ou de fonctionnaire zélé raflant largesses et subsides. Des occasions manquées, selon Naji, il y en avait beaucoup pour les journalistes entre absence, manque de conscience professionnelle, manque de culture de métier. Journalistes et politiques auront ainsi été responsables de l'«infantilisation de l'expression publique». Les premiers par leur «lâcheté», les deuxièmes par leur hégémonie. Sur quoi les cinquante ans de ce que Naji appelle une cohabitation/compétition, la balance penchant plutôt du côté du politique, ont-ils débouché? L'auteur de la tribune préfère donner comme réponse cette cinglante réalité faisant que politiques et journalistes se trouvent dans une sorte d'îlot, un recoin, loin des 32.000.000 de Marocains aux soucis autrement plus importants. En attestent, selon lui, les ventes d'une presse qui n'arrivent pas à aller au-delà d'un demi-million d'exemplaires et l'hégémonie des épiphénomènes de l'axe Casa/Rabat. Nous revoilà donc, cinquante ans après, aux prises avec les éternels épiphénomènes. Aujourd'hui, pour Jamal Eddine Naji, journalistes et politiques se trouvent de nouveau pris au même piège. Les premiers, après une longue «extinction de voix», évitent surtout tout effort de compréhension et d'explication, deux éléments capables de forger une opinion ou aider à la faire. Ils préfèrent se rabattre sur le «tout-fait-divers» et surtout politique pour se retrouver de nouveau happés par la trappe des épiphénomènes qu'ils perpétuent et reproduisent. C'est dans ce sens, estime Naji, que parler du journaliste comme aiguilleur serait un grand excès de langue. Il faudra ajouter à tout cela un terrible jeu de dévoiement mutuel entre journaliste et politique, chacun cherchant à enfoncer l'autre dès que l'occasion se présente. Une autre facette, ratée, de la transition. Et c'est plutôt le statu quo qui perdure, juge l'auteur du «Précis de déontologie» qui cite Abdellah Laroui. Le philosophe écrivait : «Nous avons pris l'habitude en effet de couper systématiquement l'actualité politique de son contexte historique, la condamnant alors à devenir "anecdotique". D'où, comme le montre quotidiennement notre presse, la coexistence d'un discours énigmatique et de la rumeur la plus folle». Ni la presse ni la politique n'en sortent grandies.