Ce 16 mai aura été à la fois une parenthèse et un déclencheur : nous avons pris le pouls et commencé à appliquer les remèdes. Commémorer le 16 mai n'est pas un acte gratuit, c'est un devoir de mémoire. Mémoire des victimes, devoir envers leurs familles, devoir de mémoire de chacun d'entre nous pour ce jour qui a durablement marqué notre société. Une question mérite donc d'être posée : notre pays en a-t-il été changé. En quoi a-t-il changé ? En quoi ces événements ont-ils pesé sur notre vision, sur notre quotidien ?. De nombreux domaines s'offrent à l'investigation : personnellement c'est sur la question des quartiers populaires, sur la prise en compte de la jeunesse qui j'aimerais faire porter la réflexion. Or, l'on ne peut nier l'évidence, ce qui est palpable, visible : la voie suivie dans nos quartiers est positive. Autorité, population, mouvement associatif, jeunesse… travaillent en meilleure entente, au quotidien la gestion de nos quartiers n'est plus ce puzzle où chaque composante ignorait l'autre. On apprend à se concerter, s'écouter, travailler ensemble. Terrains de sport de proximité, propreté, locaux mis à la disposition de la jeunesse, gestion des espaces publics, encadrement, animation… les choses bougent. Quelque part, Casablanca est à ce titre un véritable laboratoire d'expériences avec ses opérations «Casa-foot», «Casa-basket», «Fête de la musique»…etc. A Rabat également, la dynamique est enclenchée où le mouvement associatif jeune connaît un essor fabuleux, à Meknès où une synergie se met en place autour de la jeunesse, à Beni-Mellal où de jeunes militants associatifs donnent le «la» en redonnant à un jardin public vie et dignité. Et la liste est loin d'être exhaustive. Le désenclavement des quartiers, l'émergence d'une conscience, l'engagement de la jeune dans la politique de la ville… sont en devenir : la politique de proximité prend du sens ! Cependant si le choc du 16 mai a su provoquer un sursaut, tout le monde n'est pas au diapason. Des poches de résistance à ce souffle salvateur perdurent, certains ne voyant pas d'un bon œil cette politique qui bouscule des habitudes, une inertie ambiante, des intérêts mesquins ou une inclinaison au moindre effort. Si la jeunesse s'est prise en mains, si l'autorité a su faire sa « révolution culturelle », nous souffrons encore du manque de performance de nos partis politiques, d'une absence de compétences d'une partie de nos élus, mais aussi d'une élite en panne et d'intellectuels aux abonnés absents. Or ceci n'est pas anodin car c'est à ces catégories que revient la mission de «donner du sens», d'aider à la construction d'un projet de société. Par leur démission, ils laissent notre population face à elle-même, à l'analphabétisme civique, à l'obscurantisme. D'autres se complaisent dans la dénonciation, le nihilisme, le dénigrement… il est autrement plus difficile de retrousser ses manches, d'œuvrer au quotidien, de se coltiner aux tâches concrètes. Ainsi lorsque, bien avant le 16 mai, des jeunes ont commencé à investir le champ associatif, à se prendre en mains, à faire entendre leur voix, à faire (re) vivre l'esprit de quartiers, peu nombreux ont été ceux qui ont cru en cette expérience, certains en ont même été ulcérés. Je voudrais à cet effet et pour illustrer ce propos me permettre une digression personnelle : lorsqu'il y a 3 ans avec quelques autres Beurs, je décidais de rentrer au pays, se mirent à sourdre d'ici et d'ailleurs - des propos bourrés de mesquineries : « on n'a pas attendu après lui », « il s'est fait jeter de France », « il va s'enrichir sur le dos des jeunes » , « il vient faire de la politique »… j'en passe et de pires ! Pourquoi évoquer cela ici, parce que tout simplement cela est révélateur de nos carences et d'un état d'esprit qui pousse à la démission. C'est ce que veulent certains. Il faut tout de même avoir une bien triste opinion de son propre pays pour penser que l'on n'y revient que si l'on « s'est fait jeter d'ailleurs » et que seules les arrière-pensées motivent toute bonne volonté. Aller de l'avant ! Telle est notre seule alternative et pour cela il « faut y croire » et « avoir du souffle ». Ainsi si effectivement je suis riche, c'est de toutes ces expériences, de toutes ces rencontres et du travail accompli aux côtés de ces centaines de jeunes qui chaque jour me donnent – et nous donnent - des exemples de talent, de courage, de « rage de vaincre », d'envie de s'en sortir. Notre pays a fait le choix de s'atteler à cette tâche immense de faire triompher les valeurs de tolérance, d'ouverture, de modernité… sur la violence, le rejet de l'Autre, l'obscurantisme. Ce 16 mai aura été à la fois une parenthèse et un déclencheur : nous avons pris le pouls et commencé à appliquer les remèdes. Si la pauvreté matérielle mais aussi morale n'excusent rien, elle expliquent et nous avons besoin d'un déclic en matière d'emploi : le chômage, le désœuvrement étant le terreau de bien des dérives. La « bête immonde » ne meurt malheureusement jamais, la jeunesse qui représente pour elle une proie idéale mérite autre chose. Nous en sommes tous comptables ! Le devoir de mémoire c'est aussi cela : se souvenir pour mieux construire, ne pas oublier pour ne pas recommencer. En un mot, faire rimer devoir de mémoire avec espoir, pour faire triompher la vie.