L'appel «des indigènes de la République» (1) n'est pas une convocation au souvenir autour d'un calumet de la paix. C'est une violente opération de déterrement de contentieux, à coup de hache. L'âme de l'immigration vacille. Elle entreprend aujourd'hui de nouvelles quêtes. Elle s'éloigne des cités et autres banlieues pour s'engouffrer dans la mémoire. Elle sort du territoire, voire du terroir, pour tenter d'explorer les archives muettes de la République. Elle agit comme pour briser une lacune indépassable, comme pour ébrécher un cul-de-sac historique. Elle gicle comme une sourde volonté de réveiller la conscience. Et le remords. ` L'appel «des indigènes de la République» (1) n'est pas une convocation au souvenir autour d'un calumet de la paix. C'est une violente opération de déterrement de contentieux, à coup de hache. Les mots y sont durs. Ils sont proférés avec une férocité qui bouscule l'insensibilité. Ils troublent la conscience et l'excitent. Les auteurs ont emprunté l'encre la plus bouillante pour transpercer l'amnésie. Ils ordonnent de forer le puits de l'oubli. Et pour ce faire, ils usent de l'accent du brûlot et de l'emphase du pamphlet. Les signataires, nombreux anonymes, entourent, comme pour mieux les distinguer, quelques célébrités et réussites sociales incontestables telles que Tariq Ramadan, Saïd Boumama, Halima Boumedienne, Magyd de Zebda ou Amokrane, l'élu toulousain des motivés. La brutalité du texte provient de son manque de discernement. Il commence par circonscrire l'immigration dans sa dimension coloniale évacuant de l'histoire d'autres immigrations, notamment européennes. Il invoque, en les amalgamant, les discriminations réelles et incontestables avec des ségrégations plus hypothétiques. Il dénonce aussi bien le contrôle au faciès, la violence policière que la loi sur les signes religieux, dénoncée comme «la loi anti-foulard…une loi d'exception aux relents coloniaux». Il englobe, dans sa salve, les colonies et ses Noirs, les post-coloniaux, dont les Maghrébins, les Beurs, les Blacks, les Arabes de service, les harkis, les sexisme, les sans-papiers… Une hétérogénéité de trajectoires telle que l'homogénéité du propos s'en trouve obérée. C'est la scénographie du malheur qui entend attester que si la France a été un Etat colonial, ce dont personne ne doute, beaucoup mésestiment qu'elle le demeure. Ainsi, la fracture sociale a fini par enfanter la fracture anamnésique : entre ceux qui ont des passions pour l'insouciance, parfois pour le rien. Et les autres qui leur intiment l'ordre de revenir sur le souvenir occulté. Entre ceux qui aiment prendre la vie avec une certaine indolence, voire insolence. Et les enfants d'anciens esclaves qui les interpellent sur la douleur infligée. Entre ceux qui désirent avoir la mémoire vide, et qui consentent à peine à archiver les fables, le Bachelor et la Star Academy. Et ceux qui invoquent Sétif du 8 mai, la traite négrière, les tirailleurs d'Afrique, la chair à canon d'hier et la chair à urne d'aujourd'hui. La France a certes des indigestions historiques à traiter. Mais l'indigestion n'est pas contagieuse. Et si des trous pédagogiques sur la question algérienne ou l'esclavage demeurent, ce texte est la plus mauvaise manière de les combler dans la perspective d'une citoyenneté plus apaisée.