Le bourbier dans lequel s'ensable l'image de la France est un imbroglio inspiré d'un scénario médiocre «Dieu, protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge», a-t-on coutume de dire dans le monde politique. Cet aphorisme prend, aujourd'hui et en France, un relief tout particulier avec l'affaire Clearstream. On a, en France, certes pris l'habitude, à la veille de chaque élection présidentielle, de voir se multiplier les fleurs du mal des affaires et la ritournelle de l'immigration comme sujet électoral. L'un pour faire peur et les autres pour écœurer le plus hardi des citoyens. Cependant, l'affaire Clearstream est en passe de devenir un cloaque exceptionnel. Elle est singulière par sa fétidité. Exceptionnelle par les multiples manipulations qu'elle charrie. Rarissime par son degré de violence entre amis. Rien ne nous sera épargné. Le bourbier dans lequel s'ensable l'image de la France est un imbroglio inspiré d'un scénario médiocre. Mais tout y est: agents secrets et patibulaires, balance à haut débit, barbouzerie d'un autre temps, corbeau et gorge profonde qui n'est pas sans rappeler le Watergate, manipulations à tous les étages, rumeurs abracadabrantes (sic). C'est le règne du coup bas et du coup tordu… Conflit entre des ennemis qui s'entretuent ? Pas du tout. Ce sont des amis qui appartiennent à la même famille politique, au même parti, au même gouvernement qui se tailladent la gueule à coups de hache. Les trois premiers personnages de l'Etat, comme pris par une ivresse belliqueuse, sont rentrés dans un processus de guerre qui semble leur échapper. On a presque affaire à une conflagration qui a sa dynamique propre. Chirac, De Villepin et Sarkozy en sont les acteurs principaux. Ils constituent, à eux trois, le triangle des Bermudes dans lequel s'abîme une part de l'âme de la République. Un bout de son honneur. Personne ne connaît encore le véritable aboutissement de cette affaire ni ce qu'elle nous réserve plus tard. La seule chose qu'on retient, c'est que chacun se complaît à être la victime. C'est la posture rêvée pour chacun des acteurs de ce feuilleton à plusieurs tiroirs: Sarkozy, ministre de l'Intérieur, est victime de ses opposants internes qui veulent le liquider en passant par la case tribunal. De Villepin, le Premier ministre blessé, est victime d'une opposition qui le pilonne incessamment. Alliot-Marie, ministre de la Défense, est victime de son Premier ministre. Jacques Chirac, président de tout le monde, se déclare victime de «la dictature de la rumeur et de la calomnie». Jamais, la France n'aura atteint un tel niveau de déliquescence. L'affaire Urba, l'affaire Carrefour de développement, l'affaire des écoutes téléphoniques résonnent encore comme des affaires répugnantes. Mais là on assiste, en plus, à des règlements de comptes à UMP Corral. Il y a donc mieux à trouver que l'indignation du président de la République et sa dénonciation de la rumeur. Le niveau boueux de cette affaire est telle que l'indignation exprimée par le chef de l'Etat en devient indécente avant d'être stérile et inepte. PS : au moment où je rédige ces lignes, voilà qu'on met en cause le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke pour un probable jeu trouble. C'est le pompon.