L'activité à Jorf Lyhoudi, quartier qui focalise toutes les conserveries de poisson de Safi, tourne au ralenti. Les conserveries qui continuent de résister importent du poisson des provinces du Sud. Ironie du sort, Safi, jadis capitale de la sardine, s'enlise dans une crise multiforme. Le quartier Jorf Lyhoudi offre un affreux spectacle de désolation. Ce quartier, qui était auparavant associé à tous les synonymes de prospérité, est aujourd'hui en ruine. Un riverain de ce quartier a résumé cet état en disant, d'un ton ironique : «Les conserveries ont subi un tremblement de terre» ! Des façades entières se sont affalées, ce qui en reste ne sert plus sinon de « refuge » aux alcooliques et chiens errants. Les entreprises qui tiennent encore, offrent l'image triste de lieux abandonnés. Comme le laisse penser cette firme d'industrie et d'alimentation connue sous le nom de «Mobelle». Interrogé, Mohamed Lahbib, ex-employé de cette firme, devenu gardien de cette firme depuis 1995, année où elle a déposé bilan, fond en larmes. «Je travaille dans cette firme depuis 1973, depuis sa fermeture, le patron m'a proposé d'en assurer le gardiennage. Mais il n'y a pas de contrepartie, le patron, qui a ouvert une droguerie à Rabat, a refusé de me voir la semaine dernière. Il ne veut pas m'indemniser, alors que j'ai cinq bouches à nourrir», nous dit-il. Avant de nous ouvrir les portes rouillées de «Mobelle». Une géante toile d'araignée, où il n'y a pas âme qui vive. Sinon un chien pour veiller sur un matériel rouillé. A l'entrée, un gros camion crevé, décarcassé, puis une machinerie bonne pour la ferraille. La société «Mobelle» n'est pas la seule à avoir subi un sort aussi cruel. Sur une cinquantaine de conserveries, seulement sept continuent de résister : «Sardex», «UPA», «Medav», «Al Jamali», «Concervor», «Soginco» et «Enimer». La main-d'œuvre à laquelle ces firmes font encore appel est réduite à son strict minimum. En raison de la raréfaction des sardines à Safi, ces firmes, comme nous le dira le responsable de l'une d'entre elles, n'ont pas les moyens d'embaucher du personnel constitué principalement de femmes. «Jorf Lyhoudi, qui ne désemplissait pas pendant les années 80, est aujourd'hui un quartier désert», regrette un employé de la conserverie «LGMC». Les échoppes qui servaient des repas aux bataillons de travailleurs en sont réduits à leur tour à se tourner les pouces. Un gargotier, à l'instar de plusieurs victimes, montre du doigt Maroc-Chimie. «Ce complexe est la cause du drame de la population de Safi, qui n'avait d'autre ressource naturelle que le poisson», déclare-t-il. Un autre gargotier épingle le même complexe pour n'avoir rien fait pour les Safiots. «Responsable de la perte du poisson, notre seule manne, le complexe doit penser à réintégrer les pêcheurs pénalisés par la pénurie halieutique», lance-t-il. Mais cela, paraît-il, n'est pas entendu de cette oreille par l'administration de l'OCP. «A l'évidence, elle n'a rien fait ou presque pour sortir Safi de son isolement», fait remarquer un jeune Safiot. En effet, comparée à Youssoufia, Khouribga ou plus encore El Jadida (Jorf Lasfar), l'état où se trouve Safi est des plus piteux.