Confus et ayant l'esprit ailleurs, le vieil homme prononce, non sans grande difficulté, deux mots (son nom et son prénom), entrecoupés d'un long silence qui semblait une éternité. Sa fille, qui le regarde avec pitié, s'efforce de ne pas trop parler, la voix faussée et la gorge étranglée par l'émotion. Les capacités de se souvenir, de communiquer, de comprendre et de penser de Haj Ahmed, un septuagénaire pris en charge par son unique fille, Zahra, sont sérieusement affectées par la maladie d'Alzheimer. Elles sont quelque 20.000 personnes au Maroc qui vivent, plus ou moins, le même calvaire que Haj Ahmed et le nombre des victimes de cette pathologie dégénérative, qui provoque des lésions au niveau du cerveau affectant son fonctionnement normal, risque de croître à l'avenir avec le vieillissement de la population. Bien que les causes spécifiques de la maladie demeurent, jusqu'à présent, inconnues et difficiles à identifier, les spécialistes sont cependant unanimes sur le concours de certains facteurs dont, en premier lieu, l'âge et les antécédents familiaux (hérédité). D'après le Dr. Faris El Alaoui, chef du service de neurologie "A" et de neuropsychologie à l'hôpital des spécialités de Rabat, explique que la plupart des personnes atteintes sont âgées de plus de 65 ans. "Plus on vieillit, plus le risque de développer la maladie est élevé", fait-il observer. Les personnes atteintes de cette maladie présentent, selon ce spécialiste, différents symptômes: confusion et perte de mémoire, difficultés de trouver les mots justes et de suivre une conversation, manque d'intérêt pour des activités, incapacité de maîtriser l'humeur et les émotions, changement des comportements habituels, déclin physique graduel... Il est à signaler que chez certains patients, la maladie se manifeste à un âge plus précoce (vers 40 ou 50 ans) comme c'est le cas d'ailleurs de Haj Ahmed. "Il était costaud, sportif et plein de vie et de gaieté. A peine la cinquantaine, il ne s'intéressait plus comme avant aux activités qu'il aimait. Il ne maîtrisait plus son humeur et ses émotions. Bref, aussi bien ses capacités mentales que physiques avaient subi au fil des années une grande métamorphose", a raconté Zahra qui s'occupe depuis des années de son père. La science est encore impuissante devant cette maladie qui provoque peu à peu des dégâts irrémédiables au niveau des cerveaux de milliers de personnes à travers le monde. En effet, aucun traitement curatif de la maladie n'est encore disponible et les médicaments présents sur le marché peuvent, à la limite, ralentir l'évolution de cette pathologie devenue un véritable problème non seulement médical mais également social. Selon le Dr. El Alaoui, un diagnostic précoce permet d'éviter au patient beaucoup de complications. Pour ce qui est des médicaments, il y en a une multitude sur le marché international. Toutefois, note-t-il, "un seul médicament pour traiter cette maladie est commercialisé actuellement au Maroc et coûte environ 1200 dh par mois, soit un peu près la moitié du SMIG, ce qui rend son achat inaccessible pour les personnes démunies ne bénéficiant pas d'une couverture sociale. De ce fait, l'instauration de l'assurance maladie obligatoire constituera, pour nombre de famille, le seul moyen pour alléger les souffrances d'un parent atteint d'Alzheimer". Confrontée depuis des années à des difficultés matérielles, Zahra, la quarantaine à peine mais dont les cheveux sont aussi gris que ceux de son père, a confirmé cette "amère réalité" qui fait le quotidien des dizaines de familles marocaines démunies et devant prendre en charge un malade d'Alzheimer. "Au début de la maladie, pour soigner mon père, j'avais dû vendre tous mes bijoux et une parcelle de terrain, que ma mère, que Dieu ait son âme, m'a léguée. Depuis trois ans, je ne peux plus me permettre d'acquérir ce médicament d'autant plus que j'avais quitté mon emploi dans une usine dans la périphérie de Rabat pour m'occuper à plein temps de mes deux gosses, de mon père et de mon mari dont le salaire mensuel ne dépasse guerre les 3.500 dh", a encore relaté Zahra. "Je suis impuissante devant les souffrances de mon père. Je suis complètement abattue après tant d'années à m'occuper seule de lui", a-t-elle dit, avec grande amertume, avant de s'effondrer en larmes. Les répercussions de la maladie sur les membres de la famille du patient ne sont plus à démontrer. Car c'est sur eux que repose la charge humaine, affective et financière du malade. Conscients de cette réalité, les responsables du service de neuropsychologie à l'hôpital des spécialités de Rabat, avec le soutien des laboratoires "Pfizer", avaient édité un guide d'information et de conseil intitulé "le guide de l'aidant (la personne qui s'occupe du patient)" pour mieux expliquer cette maladie encore méconnue du grand public national. "Prendre soin d'une personne malade atteinte d'Alzheimer n'est pas facile. Il est important de comprendre la maladie et ses effets sur le comportement de la personne atteinte. Même si les actes de la personne atteinte de la maladie semblent curieux ou déraisonnables, vous vous rendez compte qu'ils ont un sens pour cette personne", lit-on dans ce guide qui traite également du stress chez l'aidant et la façon d'y remédier. Cet effort d'information au profit de l'aidant a débouché dernièrement sur l'idée de la constitution d'une association regroupant les parents (membres de la famille) des personnes souffrant de cette pathologie. • Mohamed Badaoui (MAP)