Jaume Sastre, écrivain et leader politique des Iles Baléares, mène une bataille judiciaire et médiatique pour dénoncer les traitements de faveur dont a bénéficié le directeur d'"El Mundo" de la part de José Maria Aznar. Interview. ALM : Vous menez depuis plusieurs mois une bataille médiatique et juridique pour dénoncer l'illégalité d'une piscine appartenant au directeur du quotidien “El Mundo”. Quelle est l'histoire de cette affaire ? Jaume Sastre : Tout a commencé l'été 2004 quand la revue de Mode TELVA avait publié des photos de l'amie de Pedro J Ramirez, la styliste Agatha Ruiz de la Prada assise au bord de la piscine à côté de la mer dans sa maison d'été à Majorque. C'est à partir de là que tout a commencé. Nous avons entrepris des recherches sur les registres de la propriété et sur ceux du commerce afin de collecter toutes les informations nécessaires sur ce sujet : document de la concession administrative, des cartes officielles des services de la "Délimitation de Côtes", photographies aériennes, rapports des "techniciens des côtes" et beaucoup d'autres choses. Par ailleurs, il faut rappeler que je suis écrivain natif de Majorque. Je suis aussi le porte-parole de l'organisation indépendantiste "Lobby per l'independencia". Nous considérons que les Îles Baléares sont une colonie de l'Espagne et nous militons, d'une manière pacifique et démocratique, pour la décolonisation et l'indépendance. Nous voulons vivre en paix avec nos voisins, mais nous voulons faire partie de l'Europe directement, sans intermédiaire et sans passer par Madrid. En 2003, j'ai publié un livre-interview sur la biographie de Gabriel Canellas qui a été le président des Îles Baléares entre les années 83 et 95. À la sortie de ce livre, le journal El Mundo de Pedro J. Ramirez a mené contre moi une grande campagne de discrédit et de criminalisation qui a duré plusieurs semaines. D'ailleurs, le quotidien de Ramirez s'est toujours attaqué systématiquement à la langue et la culture des indigènes majorquins. Mais, malgré tout cela, il est venu s'approprier illégalement une piscine publique en terre majorquine. Peut-on dire que M. Ramirez se considère au-dessus des lois ? Ramirez est un malade de la puissance, de l'arrogance et de la fierté. Et, comme tout le monde le sait, l'arrogance est le prélude de la défaite. Le fait qu'il considère avoir joué un rôle important dans la défaite du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) lors des élections de 1996 et l'arrivée au gouvernement du Parti Populaire (PP), il se croit au-dessus des lois et que tout lui est permis. Ramirez s'est enivré de pouvoir. Quand son ami, l'ex-ministre de l'Environnement, Jaume Mats, du PP, lui a donné, en 2001, la concession de la piscine d'une manière totalement irrégulière, José Maria Aznar et le PP avaient la majorité absolue et pensaient qu'ils resteraient au pouvoir vingt ans encore. Mais, il y a eu la catastrophe électorale du 14 mars 2004 et ils ont dû passer directement de la majorité absolue à l'opposition. D'ailleurs, un an après, ni Aznar, ni le PP, ni le journaliste de ce parti, à savoir Pedro J Ramirez, n'ont pu assimiler cette évidente défaite électorale qui n'a pas de précédent en Europe. Aznar a payé très cher son appui à l'invasion de l'Irak. Les différents peuples et les nations de l'Etat espagnol ne voulaient pas participer à cette guerre dite "préventive". C'est pour cela que le PP a perdu les élections. Pour sa fierté et sa mégalomanie. Loin de faire preuve d'humilité et reconnaître son erreur monumentale, Pedro J Ramirez, qui est, actuellement, totalement désespéré et affolé, cherche à faire croire à l'existence d'une conspiration internationale et tente de semer le doute sur les services secrets marocains, une partie des services secrets espagnols et le PSOE qu'il accuse d'être impliqués, directement ou indirectement, dans les attentats terroristes du 11mars à Madrid. Quelles sont les raisons de cette impunité? Il ne faut pas oublier que Ramirez a joué un rôle fondamental dans les investigations sur le terrorisme d'Etat des GAL contre l'ETA (NDLR : des groupes créés par des officiers de la Garde civile espagnole pour combattre d'une manière illégale les terroristes basques à l'époque où les socialistes étaient au pouvoir). Les révélations d'”El Mundo” avaient eu en effet un impact décisif sur le PSOE et son ex-leader, Felipe Gonzalez, ce qui leur fit perdre les élections législatives de 1996 et de quitter le gouvernement. Durant plusieurs années, Ramirez s'est présenté devant l'opinion publique comme le journaliste indépendant et audacieux qui a dénoncé la corruption, les GAL et les abus du pouvoir du gouvernement socialiste. Mais tout n'était qu'une grande farce. Les années qui ont suivi les élections de 1996 ont ainsi démontré que Ramirez n'était qu'un journaliste mercenaire au service du PP. Rien de plus. Il a été utilisé par le PP pour chasser le PSOE du gouvernement et parachuter son ami et protecteur Aznar à la présidence du gouvernement. Une fois qu'Aznar était arrivé au pouvoir, Ramirez a été payé pour les services rendus au PP à travers des subventions publiques substantielles pour son journal, des traitements de faveur scandaleux et aussi en bénéficiant de privilèges personnels comme c'est le cas pour la piscine qu'on lui a donnée à Majorque. A votre avis, qui soutient le directeur d'”El Mundo” ? Ramirez est soutenu par un groupe restreint de chefs d'entreprise proches du PP, des amis de l'ex-président du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, et qui se sont enrichis grâce à la privatisation des entreprises publiques espagnoles. Il est aussi soutenu par le grand allié d'Aznar en Italie, le magnat de la presse et le président du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, qui a aussi participé à l'invasion de l'Irak. Les actionnaires les plus importants d'”El Mundo”, comme la chaîne de télévision Telecinco, sont des Italiens directement liés à Berlusconi. Bénéficiez-vous du soutien des autres journaux espagnols sur cette affaire ? Nous sommes soutenus par quelques journaux de Majorque, las des campagnes de diffamation et de persécution orchestrées par Pedro J Ramirez, et qui se sont fait l'écho de nos plaintes. Nous avons aussi le soutien de quelques journaux catalans ainsi que d'une publication électronique de Madrid qui est "Periodistadigital" grâce à laquelle le scandale de la piscine est arrivé à toute la classe politique et journalistique de l'Espagne. Parmi nos soutiens figure aussi le journal américain "The New York Times". Peut-on donc parler d'un complot de silence de la part des médias et des forces politiques? Oui, sans aucun doute. Non seulement il y a un complot de silence, mais Pedro J. Ramirez est allé jusqu'à faire pression sur la chaîne télévision, Telecinco, propriété de son ami Berlusconi, pour qu'elle ne diffuse pas une interview de 25 minutes que des journalistes de la chaîne m'ont accordée dans le cadre de l'émission "Péché Originel" qui est diffusée à une heure de grande audience. Lundi 4 avril, Telecinco avait annoncé à ses téléspectateurs que, le lendemain, le mardi 5, elle allait passer l'interview où j'apportais toutes les preuves et sur lesquelles se basent nos accusations de prévarication, traitement de faveur et copinage dont Ramirez a bénéficié. Aujourd'hui, deux semaines après, l'émission n'a pas encore été diffusée. La classe politique espagnole, les juges et même les militaires sont pris de panique et de terreur quand ils ont en face un homme sans scrupules et un malade de pouvoir comme Pedro J. Ramirez. Un homme qui utilise les dossiers qui arrivent entre ses mains pour en tirer des bénéfices personnels. Et c'est normal qu'ils paniquent sachant que si le général le plus décoré de toute l'histoire de la Garde civile espagnole, Rodriguez Galindo, est actuellement en prison, c'est à cause des dossiers publiés sur lui par Ramirez. Il faut rappeler aussi que même le directeur général des services secrets espagnols, l'ex-CESID, Emilio Alonso Manglano, a fini par être traîné devant la justice à cause des informations qu'a publiées le quotidien de Pedro J. Ramirez. Dans un Etat de droit comme l'Espagne, n'est-il pas étrange qu'une situation illégale comme celle de la piscine n'ait pas fait l'objet d'une intervention des autorités ? Nous avons dénoncé les faits devant les autorités compétentes, à savoir le service de "Délimitation des Côtes" qui dépendent du ministère de l'Environnement. Ce service devait, selon la loi, nous répondre dans un délai de 90 jours et il ne l'a pas fait. Devant le silence de l'administration, nous avons dénoncé les faits devant les tribunaux compétents. Pour l'instant, le Tribunal supérieur de justice des Iles Baléares (TSJB) a accepté la plainte et exigé que le ministère de l'Environnement lui envoie tout le dossier dans un délai de 20 jours. Quand nous aurons accès direct à ce dossier, nous agirons en conséquence. Ce qui est certain, c'est que nous sommes disposés à aller jusqu'à la Cour suprême et même au Tribunal constitutionnel s'il le faut. Nous sommes convaincus que nous avons raison et que nous sommes devant un cas très évident de copinage, de traitement de faveur et de prévarication. Pedro J. Ramirez s'est approprié d'une piscine publique, construite dans la zone maritime-terrestre, grâce à une concession administrative qui lui a été donnée en 2001 par son ami, le ministre PP, Jaume Mats, en violation de la Loi des Côtes de 1988. En plus, nous avons eu accès à un rapport des spécialistes du ministère de l'Environnement élaboré en 2000 où ils informaient leurs supérieurs que, pour être légalisée, cette piscine devait s'adapter à la loi en vigueur. Ce rapport est on ne peut plus clair.