Le confinement a pénétré au plus profond des fragilités mentales des uns et des autres, dans la large palette de leur variété. Il amène à l'introspection, mais une réflexion continue, une remise en question qui dure dans le temps, parce que l'oubli nous guette aussi. Qu'entendons-nous par catharsis aujourd'hui, face au virus mortel, face à la menace qui nous guette et face à l'inconnu qui nous attend ? Qu'est-ce qu'un psychiatre peut dire de la catharsis par temps de crise ? Quel sera son apport ? Quelle vision porte-t-il sur le monde qui se profile déjà ? Comment un penseur, un philosophe peut-il appréhender toutes les variations du monde qui sera le nôtre demain ? Que pouvons-nous encore catharsiser aujourd'hui dans un monde où tant de dérives sont devenues des règles et qui a été frappé de plein fouet par une pandémie qui l'a mis KO ? Est-ce une purgation ? Est-ce une purification ? Ou est-ce un purgatoire que nous devons vivre pour passer d'un monde à un autre ? Nous avons en premier lieu échafaudé les premiers scenarii rassurants d'un Homme responsable qui retournerait à son humanité première. Un Homme qui sortirait grandi de cette traversée du désert du confiné. Introspection et prise de conscience, sublimation oblige. Cette lecture rassure et déculpabilise. La Nature ou Dieu nous tape sur les doigts et nous en sortirons mûris et meilleurs, plus responsables et plus solidaires, plus humains. La terreur de la maladie nous confine, nous responsabilise et nous avons pitié pour l'autre qui est malade ou l'autre qui meurt. La pitié déculpabilise. Car la fatalité réside dans la culpabilité maîtresse. La fatalité et le destin ne sont plus aux mains des hommes, ni de Dieu. L'Homme est enfin le créateur. Et il subit les conséquences de sa création. Grandeur qui nous confine certes, mais nous réveille à la réalité de notre grandeur si misérable. Mais du point de vue du psychiatre, une seconde lecture s'impose. Un scénario moins salvateur. Un scénario moins léché. Une vision du futur moins hollywoodienne. Nous prenons conscience d'une purification qui ne laisse guère de place aux minorités que l'on qualifierait de minorités sanitaires. Car en y réfléchissant cliniquement, nous ne sommes pas égaux devant ce virus. Il y a une sélection dans la mort. Il y a un choix effectué par le virus qui rétablit un ordre par sélection. Cette fois, il ne s'agit pas d'une sélection naturelle mais artificielle, dictée par les propriétés du virus, lui-même. Ne survivront que les plus forts. C'est la formule martelée depuis l'éclosion de la maladie. Pour reprendre des déclarations imagées de la presse, en écourtant la vie des plus de 80 ans en France, le gouvernement épongerait la dette de la sécurité sociale. Mais alors, le virus serait peut-être la solution qui pourrait enfin mettre en place un nouvel ordre mondial, avec une sélection de survivants, plus forts, plus dociles, plus heureux de vivre, moins récalcitrants et plus consommateurs. En parlant de consommation voici un texte reçu tel quel que l'on partage avec vous : Le PDG d'Euro Exim Bank Ltd. a fait réfléchir les économistes lorsqu'il a déclaré: «Un cycliste est un désastre pour l'économie du pays – Il n'achète pas de voiture et ne prend pas de prêt automobile -N'achète pas d'assurance automobile -N'achète pas de carburant – N'envoie pas sa voiture pour l'entretien et les réparations – N'utilise pas de parking payant – Ne cause pas d'accidents majeurs- Ne nécessite pas d'autoroutes à plusieurs voies – Ne devient pas obèse – Oui, ….. et bien, bon sang !! Des gens en bonne santé ne sont pas nécessaires à l'économie. Ils n'achètent pas de médicaments. Ils ne vont pas dans les hôpitaux et les médecins. Ils n'ajoutent rien au PIB du pays. Au contraire, chaque nouveau point de vente McDonald crée au moins 30 emplois -10 cardiologues, 10 dentistes, 10 experts en perte de poids en dehors des personnes travaillant dans le point de vente McDonald. Choisissez judicieusement: un cycliste ou un McDonald? Ça vaut le coup d'y penser PS. La marche est encore pire. ils n'achètent même pas de vélo. Horrible et désastreux. C'est la mort lente de notre planète et des êtres qui enrichissent une minorité d'assassins». C'est édifiant comme réflexion. Il y en a pour tous les goûts et toutes les sauces. Il faut juste ouvrir les yeux et filtrer ce qui défile sur les réseaux. Vous allez être servis. Cela résume le monde dans lequel nous vivons. Vous et nous, sommes des consommateurs. Nous sommes juste des clients. Nous sommes juste des patients potentiels. Nous sommes juste des payeurs. Nous sommes juste des cobayes. Alors des valeurs humaines comme la solidarité, l'implication de tous, la cohésion, l'humain d'abord, la probité, la protection des uns et des autres... sont des outils déculpabilisant d'un changement non pas vers le surhumain qu'on attend mais vers le non-humain. Car le virus déculpabilise. Il unit. Il annihile, aussi. Ce changement serait-il ce retour aux valeurs qu'on attend, à une sérénité et une prise de conscience de son humanité première ou une déshumanisation ultime qui établirait un Homme nouveau, à la fois plastique et technologique ? Puisque le virus lui-même préfère tuer plutôt les hommes que les femmes, les immunodéprimés ou les terrains dits tarés (diabète par exemple), et plutôt les vieux que les jeunes, quel visage affichera le monde de demain ? On l'a vu, le confinement a pénétré au plus profond des fragilités mentales des uns et des autres, dans la large palette de leur variété. Il amène à l'introspection, mais une réflexion continue, une remise en question qui dure dans le temps, parce que l'oubli nous guette aussi. Le confinement et la phase directe qui en a résulté appelle à la gestion des émotions. Cela pousse également à une forme de catharsis multiple qui englobe toutes les variétés et les variations de nos vies. Il ne faut pas perdre de vue que nos cognitions fuient vers le scénario le plus rassurant de manière spontanée et inconsciente. Avec un paradis sur terre retrouvé, un Eden post-confinement. C'est l'idée si ancrée de la récompense après l'expiation. Comme si nous avions fait notre chemin de croix vers la rédemption. Nous pensons presque tous à une sortie de purgatoire triomphante. L'antichambre de la mort est traversée, avec le moins de dégâts possibles ! Rien n'est moins sûr, encore une fois. Les malades avec des pathologies psychiatriques diverses (en gravité, en ancienneté, en prise en charge) s'enfoncent depuis les premières semaines de la peur dans un gouffre sans fond. Des années de prise en charge pour des stabilisations souvent précaires ou fragiles, tant de travail de de réinsertion sociale ou de réhabilitation pour entendre la plus grande puissance du monde, la sacro-sainte Amérique, déclarer ne pas donner la priorité pour les soins et la prise en charge aux handicapés et aux malades mentaux. Si ladite locomotive déshumanise la prise en charge des minorités sanitaires, que devient le monde de demain alors? Il faut bien que quelqu'un nous propose un début de réponse. Sommes-nous revenus à cette sombre époque où l'on devait achever les malades mentaux, les handicapés et certaines ethnies au nom de la survie d'autres entités, considérées plus valeureuses, parce que plus travailleuses et plus consommatrices, parce que plus malléables, plus dociles, plus enclines à dire Amen à tout ? En tout état de cause, il est certain que ces personnes, plus persécutées, plus recluses, dans leur grande vulnérabilité, tous ces malades diagnostiqués et connus, il faudra compter avec un recul certain de leur prise en charge. Cela implique une mal observance de leurs traitements mais aussi des décompensations certaines. Le stress d'un malade psychiatrique est différent. Un arrêt de traitement peut être létal. Les pathologies lourdes en arrêt de traitement ou avec un traitement inadéquat peuvent amener à des passages à l'acte grave et auto-agressifs avec des suicides ou encore hétéro-agressifs avec des agressions voire des meurtres. Et nous avons tous vu que cela a déjà eu lieu. Suicides. Meurtres. Agressions. Oui, tout cela a déjà eu lieu et les médias en ont fait le compte rendu froid. Cela pourrait s'aggraver. En effet, tous les spécialistes savent que la pathologie préexistante s'aggrave alors que de nouvelles éclosent, surtout par temps de grave crise ou de menace de mort. Le stress de la maladie pèse lourd sur la psycho-sphère. Les sociétés de santé mentale alertent quant au stress post-traumatique, aux dépressions, aux troubles anxieux divers et autres pathologies mentales qui deviennent de plus en plus menaçantes. Le retour de manivelle risque d'être plus grave que la purification sélective du virus. Le risque de troubles psychiatriques croît avec le stress. Le maintien du stress sur la durée souligne les fragilités et les outils de gestion lâchent. Quand ces outils de gestion lâchent, il n'y a plus de soupape. Tout explose. Place aux crises d'angoisse de plus en plus fortes. Place aux attaques de panique de plus en plus étouffantes. Place à l'insomnie de plus en plus terrifiante. Place à l'irritabilité de plus en plus prononcée. Place à la compulsion de plus en plus effrénée ou à l'impulsivité de plus en plus appuyée. Mais aussi place à la dépersonnalisation, à la déréalisation, place aux hallucinations et à toutes les panoplies du délire. Nous pouvons d'ailleurs constater avec quelle effervescence on produit et on diffuse des vidéos attisant paranoïa et persécution avec des théories complotistes ou l'apparition d'évangélistes allumés dont certains voient des signes des cieux et prennent la parole au nom d'une prophétie qui leur est confiée par Dieu, lui-même ! L'Homme, entre terreur et pitié, entre fureur et inconnu, vit le dernier acte d'une tragédie qui perdure et dont il n'a écrit aucun mot, dont il ignore les péripéties. Dans cette configuration, la clinique raisonne mais ne soigne pas. Elle n'en a pas les moyens. Elle n'en a pas le pouvoir. Que fait-on alors des malades mentaux ? Comment gérer ceux qui existent déjà et ceux qui se découvrent à la société ? En tant que psychiatre qui doit faire face à ces pensées, le dénouement me semble lointain et incertain. C'est un nœud coulant qui se serre et se desserre à sa guise. Et dans ce va-et-vient émerge la vision d'un monde nouveau, mais sans le fantasme du meilleur monde possible. On le sait, par ailleurs, les crises, que ce soit une guerre ou une épidémie qui décime, ont permis un renouveau et un nouvel ordre. Nous n'en sommes pas à notre premier confinement. Les épidémies qui ont frappé le Maroc aux 18ème et 19ème siècles, toutes les quinzaines ou vingtaines d'années, ont concouru à une certaine fragilisation, mais aussi à la sécularisation de la résilience plus ou moins réussie. Un mal pour un bien ? Encore faut-il redéfinir les notions de bien et de mal dans leur relation à la notion de liberté de l'individu, dans un monde qui se veut déjà sélectif. Et qui dit sélection, dit absence de chances égales pour tous. On l'a bien vu, nous ne sommes pas tous égaux face à la pandémie et aux soins. Serons-nous, demain, tous égaux face à l'ordre établi qui redéfinira le concept de la liberté humaine ?