Les maladies mentales sont de plus en plus présentes dans notre entourage. Les facteurs en sont multiples, mais le regard de la société et les problèmes de prise en charge demeurent les mêmes. Beaucoup defforts restent à faire pour assurer aux malades un cadre de vie agréable. Entretien avec le Dr Ghita El Khayat, psychiatre. Finances News Hebdo : Selon le dernier rapport de lOMS sur les maladies mentales, qui date davril 2001, une personne sur quatre souffrirait dune maladie mentale. Que pensez-vous de ce chiffre ? Dr Ghita El Khayat : Je ne sais pas ce quil en est dans les autres structures, notamment les centres publics, mais je trouve que le nombre de personnes atteintes de maladies mentales est de plus en plus important et pèse de plus en plus sur la société. Si lon prend lexemple de la schizophrénie, une maladie qui touche les personnes de toutes races et de tous les milieux sociaux, tous sexes confondus, on constate quelle affecte 1% de la population. Ce qui est énorme pour une seule maladie, sans compter les retards mentaux pour les jeunes, les mongoliens, lAlzheimer. La dépression est aussi lun des symptômes les plus importants en ce 21ème siècle puisque la vie devient de plus en plus difficile Le nombre de personnes atteintes par ces pathologies croît dans toutes les tranches dâge et dans toutes les classes sociales. Il faut ajouter à cela la toxicomanie et la délinquance chez les jeunes. Côté réactions, des efforts restent à faire, notamment un travail de vulgarisation. Jai dailleurs écrit un livre intitulé «Une psychiatrie moderne pour le Maghreb» qui est un plan de travail pour les pays maghrébins en matière de psychiatrie, puisque les caractéristiques des pays de cette région, au niveau des maladies mentales, se ressemblent. F. N. H. : Pourquoi parlez-vous de psychiatrie moderne ? Dr G. E. : Jai choisi la psychiatrie moderne parce que jai parallèlement réfléchi sur la psychiatrie dite traditionnelle qui a recours aux saints, marabouts, guérisseurs et autres voyantes. Vu la qualité de la psychiatrie moderne, il me semble ahurissant de laisser des milliers de personnes consulter les marabouts du pays, dautant plus quelles y connaissent un très mauvais traitement. Jai eu la visite de deux personnes qui ont été blessées lors dun exorcisme. Lune delles avait reçu un coup derrière la tête qui a failli la tuer alors que lautre est venue me voir avec des ecchymoses partout sur le corps. Ce sont des pratiques dun autre âge et cest justement ce qui rend notre tâche si difficile, puisque nous recevons des gens qui sont passés par là et qui ont attendu trop longtemps avant de consulter un psychiatre. Il devient pour nous, dans ce cas, extrêmement difficile, voire impossible, daméliorer létat du patient. F. N. H. : Il y a un point qui suscite beaucoup dinterrogations, celui du traitement des maladies mentales dans les hôpitaux publics. Les mêmes médicaments sont prescrits à toute sorte de maladie, à savoir la trihexyphénidyle et lhalopéridol Dr G. E. : Le traitement dépend du type de la maladie. Si lon prend lexemple de la schizophrénie, il existe maintenant des médicaments extrêmement efficaces pour la traiter et préserver lintellect du patient, mais ces médicaments sont malheureusement au-dessus du pouvoir dachat du citoyen. Le traitement évolue à tel point que jai eu affaire à des schizophrènes qui, ayant les moyens de soffrir un bon traitement, nont pas fait de rechute. Ils ont pu avoir une certaine stabilité et nont plus de gros problème à mener une vie normale. Toutefois, certaines choses leur deviennent impossibles à cause de leur maladie. Il y a également une amélioration rapide du traitement de toutes les formes de dépression. Avec les génériques, le traitement devient moins cher encore. Ces génériques vont nous sauver à terme puisque tous les malades pourraient les acquérir. Mais, il reste des choses difficiles à réaliser. Ce sont les structures polyvalentes, pluridisciplinaires, où les gens seront pris en charge à plusieurs niveaux. Il faut créer ces entités partout au Maroc où les psychiatres, psychanalystes, psychologues, psychopédagogues, pédiatres et érgotérapeutes pourront prendre en charge le patient à tous les niveaux pour le «retaper». Cela demandera beaucoup de temps et surtout beaucoup dargent, certes, mais le défi et de taille. F. N. H. : Une fois «retapé», quelle genre dactivité peut exercer un patient pour réintégrer la société ? Dr G. E : Ce ne sont que des maladies. Une personne déprimée retrouve une vie normale après sa guérison. Le problème se pose essentiellement pour les retards mentaux chez les jeunes et les maladies de vieillesse comme lAlzheimer ou les démences. Pour les gens en âge de travailler, la réinsertion sociale est fonction de la pathologie de la maladie et de son évolution pour chaque cas particulier. Dans la majorité des cas, la personne est capable davoir une certaine autonomie, de se laver et davoir des contacts normaux avec les autres. Il reste à évaluer la capacité dénergie mentale restante pour assurer un travail à domicile ou salarié. Cependant, pour réussir la réinsertion des malades mentaux, il faut des structures pour les réformer professionnellement, doù limportance de créer des écoles spécialisées réservées aux personnes souffrant de problèmes mentaux. F. N. H. : Avez-vous constaté une évolution concernant le regard que la société porte sur les malades mentaux ? Sommes-nous toujours au stade du tabou à tel point que certains refusent que leurs proches consultent un spécialiste pour une maladie de ce genre ? Dr G. E. : Quand la maladie se déclare, tout le monde se rend compte quil faut agir. Surtout quand la maladie empêche la famille de fonctionner normalement. En fait, le problème varie selon la famille et la classe sociale. Aujourdhui, jai des patients qui viennent de Zagora, de Taroudant, de Figuig, de Ourzazate Ces gens se rendent compte quil y a une nouvelle forme de médecine, capable de traiter leurs cas. La psychiatrie a été introduite au Maroc dans les années 30 et 40 du siècle dernier. Elle a sa place. Certes, il y a encore des Marocains qui refusent les idées nouvelles et pour lesquelles le traitement dune maladie mentale passe par les marabouts et les saints. Mais après échec, ils vont finalement, eux aussi, avoir affaire à un psychiatre. F. N. H. : Quel rôle la famille doit-elle jouer pour une bonne prise en charge dun membre atteint dune maladie mentale ? Dr G. E. : Je conseille à tout le monde de banaliser la maladie mentale qui est une maladie comme les autres. On ne va pas juger quelquun parce quil a la tuberculose ! Alors, pourquoi le jugera-t-on sil est atteint dune maladie psychique ? Il faut dédramatiser et banaliser la maladie psychique parce que chacun a ou aura certainement un malade de ce genre dans son entourage. Cest quelque chose dimparable parce que cest dans la nature humaine, au même titre que nimporte quelle autre maladie. Il sagit dune maladie qui est maintenant largement médicalisée parce que ses symptômes, qui semblaient autrefois bizarres, sont aujourdhui explicables grâce à la science et la médecine.