Entretien avec Hassan El Arafi, professeur en finances publiques à la FSJES-Mohammed V Rabat ALM : Le Maroc envisage de recourir à la ligne de précaution et de liquidité (LPL), qu'est-ce que cela implique pour l'endettement de l'Etat et dans quelle mesure cette action aura un impact sur les finances publiques de l'Etat ? Hassan EL Arafi : Il y a lieu de rappeler que le Maroc a signé quatre accords consécutifs avec le FMI pour bénéficier de la LPL: le premier concernait une ligne de 6,2 MM de dollars sur deux ans en 2012, le second avec une ligne similaire de 5 MM de dollars en 2014 et le troisième avec 3,5 MM de dollars en 2016, avant de signer un quatrième accord en fin 2018, pour une valeur de 2,97 MM de dollars, dont les autorités budgétaires ont affiché leur intention de l'utiliser, le cas échéant, pour amortir les chocs de Covid-19. Certes, jusqu'à l'heure actuelle, le Maroc s'est toujours abstenu d'utiliser cette LPL pour faire face à ses besoins de financement, quoique permise par le FMI, en préférant d'autres alternatives du marché financier international. En revanche, il paraît que le pronostic tend vers le recours à cette LPL, vu la particularité de la conjoncture à cause des effets du Covid-19. Dans tous les cas, qu'il s'agisse de la LPL ou autre moyen de financement extérieur, il ne fait aucun doute que le recours à l'emprunt aggravera le niveau de la dette du Trésor, qui atteignait 750,1 MM de dirhams à la fin de 2019, ce qui représente 65,3% du PIB, sachant que la dette publique pourrait atteindre plus de 80% du PIB, en y intégrant d'autres dettes garanties par l'Etat au profit d'autres établissements publics et collectivités territoriales. Evidemment, l'impact de surendettement est théoriquement conséquent que ce soit sur le plan économique (notation de crédit sur le marché emprunteur, réticence des investisseurs étrangers potentiels), sur le plan social (baisse du montant de l'épargne allouée à l'investissement, amputation sur les dépenses sociales et sur l'emploi) et sur le plan politique (découvert externe accru et dépendance aux bailleurs de fonds). Est-ce que le recours à cette LPL est encadré juridiquement ? Le recours à la dette, LPL ou autre, exige de se conformer aux dispositions de l'article 20 de la LOLF n°130-13 qui prévoient, dans le cadre de l'article 77 de la Constitution, que le produit des emprunts ne peut pas dépasser la somme des dépenses d'investissement (78,2 MM de dirhams) et du remboursement du principal de la dette au titre de l'année budgétaire (67,5 MM de dirhams). Néanmoins, le même article permet au gouvernement de procéder aux opérations nécessaires à la couverture des besoins de trésorerie. De même, les dispositions de la loi de Finances sont censées limiter le plafond de la dette, comme il est indiqué dans ses articles 43 et 44, dans l'ordre de de 97,2 MM de dirhams, dont l'emprunt extérieur représente environ 32% (31 MM de dirhams). Mais, il est attendu que les besoins de financement augmentent en raison des conséquences du Covid-19, ce qui a incité le gouvernement à émettre le décret-loi n° 2.20.320, qui lui autorise de dépasser le plafond du financement extérieur. Concrètement, quels sont les effets du Covid-19 sur le budget de l'Etat ? Certainement le Covid-19 produira des externalités négatives aussi bien sur le plan économique que sur le plan budgétaire, vu les relations cycliques entre les deux. D'abord, les principales hypothèses macroéconomiques sur lesquelles a été établie la loi de Finances 2020 sont à revoir : taux de croissance, taux de chômage, solde extérieur, etc. Ensuite, les ressources fiscales qui financent environ 86% du budget de l'Etat vont connaître une baisse, surtout que notre économie est une économie tant de la demande que de l'offre. De même de grands pans contributeurs se trouveraient affectés: export, tourisme, transport, etc. Bref, le déficit va s'aggraver sans aucun doute suite à l'augmentation des besoins de financement ; il peut grimper jusqu'à 6% d'après les travaux de modélisation. Cela affecte-t-il l'investissement public ? D'après la LF 2020 le volume de l'investissement public est d'environ 195 MM, dans lequel le budget général de l'Etat représente environ 78,2 MM de dirhams. Or, il ne fait aucun doute que le Covid-19 aura des effets directs et indirects sur l'enveloppe de l'investissement public : redéfinition des priorités de l'Etat, soutien des secteurs lourdement affectés, nouvelles réaffectations budgétaires au profit du secteur de la santé, etc. Mais, à mon avis les problèmes d'investissement public sont de nature structurelle et le Covid-19 n'a fait qu'exacerber ses effets. Peut-on voir en cela un signe d'une politique budgétaire d'austérité ? La période post-confinement est, en soi, une équation complexe qui exigera, entre autres, une politique budgétaire de rigueur plutôt austère, qui nécessitera d'une part des réaffectations budgétaires au niveau des dépenses d'investissements et d'autre part des amputations au niveau de certaines dépenses de fonctionnement à caractère discrétionnaire. Par ailleurs, des mesures fiscales pourraient être adoptées pour stimuler les recettes, dans le but de réduire le déficit. Mais, dans ce cas il faudra demander plus à l'impôt et moins au contribuable ! Quelles sont vos recommandations pour soutenir cette période ? D'une manière nécessairement synthétique, il est possible de lancer certaines recommandations expéditives, sous réserve d'en creuser la réflexion : – Procéder à des réaffectations budgétaires en transférant certaines dépenses de fonctionnement discrétionnaires au profit du CST «Fonds de la pandémie de Covid-19» ; – Refinancer l'investissement public par une approche plus réaliste du partenariat public-privé (PPP), en procédant a priori à revoir loi 86.12 sur le PPP ; – Réorienter les fonds philanthropiques et parapublics possibles (exemple Habous publics, fondations) vers des investissements de services publics prioritaires ; – Adopter des mesures fiscales susceptibles de combiner entre la revendication de l'équité et l'impérative de la rentabilité.