Entretien avec Mohamed Oulkhouir, président de l'Association marocaine de droit du travail et de la sécurité sociale En cette période de crise sanitaire, plusieurs entreprises optent pour le télétravail. Certaines s'y adaptent bien et d'autres peinent à réunir les conditions nécessaires pour assurer cette mission pour leurs employés, notamment lorsque le nombre de salariés est important et qu'il faut faire le suivi à distance de la qualité du travail rendu. Cette période peut malheureusement s'avérer aussi l'opportunité pour certains employeurs malintentionnés de licencier une partie de leurs salariés ou d'imposer un salaire réduit. Juridiquement, le droit marocain reste flou sur certains volets de cette problématique. Mohamed Oulkhouir, président de l'Association marocaine de droit du travail et de la sécurité sociale, nous livre son éclairage. ALM : Pendant la période de confinement, plusieurs entreprises improvisent le télétravail. Comment la loi marocaine définit-elle le télétravail ou le travail à distance? Mohamed Oulkhouir : Le code du travail marocain ne prévoit absolument rien en matière de télétravail. Rien n'est précisé concernant les modalités de recours ou les conditions de mise en œuvre. Le travail à domicile qui est évoqué à l'article 8 du code ne concerne absolument pas le télétravail. Quelles sont les conditions juridiques pour assurer le télétravail pour ses employés? Il s'agit de déterminer eu égard aux circonstances actuelles si le télétravail relève d'une mesure raisonnable que l'employeur peut prendre dans le cadre de son pouvoir de gestion et de direction ou bien s'il s'agit d'un élément substantiel du contrat de travail. Il s'agit selon nous d'une organisation du travail qui relève non seulement du pouvoir de direction de l'employeur mais qui résulte aussi des mesures gouvernementales prises dans le cadre du décret-loi n°2.20.292 portant promulgation de dispositions relatives à «l'état d'urgence sanitaire» et aux procédures de sa déclaration. C'est donc une mesure qui doit pouvoir être mise en place et imposée par l'employeur dans son principe. Surtout si l'on ajoute que ce dernier est responsable de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs. Toutefois, il appartient à l'employeur de mettre à la disposition du salarié les outils et moyens nécessaires au télétravail et de prendre les mesures requises pour que le salarié puisse être couvert par l'assurance accident du travail. Est-ce qu'un employé peut refuser de faire du télétravail et quels sont les cas particuliers qui pourraient dispenser un salarié de faire du télétravail ? Dès lors que le télétravail est possible pour le poste occupé par le salarié et que l'employeur met à la disposition du salarié les moyens et outils nécessaires, nous pensons que le salarié se mettrait en faute en refusant de passer au télétravail. Ce qui pourrait permettre à l'employeur de procéder à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour insubordination le cas échéant. Il est toutefois recommandé de ne pas aller aussi loin, de tirer les conséquences du refus du salarié de «télétravailler» et donc de plutôt suspendre le paiement du salaire. Le salaire étant la contrepartie d'un travail n'a pas à être versé si le travail n'est pas effectué. Le télétravail est clairement un moyen pour les deux parties non seulement de continuer la relation contractuelle mais aussi d'éviter les impacts négatifs de la pandémie actuelle et de lutter contre sa propagation. L'exécution de bonne foi du contrat de travail impose selon nous au salarié d'accepter le télétravail dès lors que celui-ci est possible pour le poste qu'il occupe et que l'employeur met à la disposition du salarié les moyens et outils nécessaires. Certains employeurs réduisent le salaire de leurs employés mis au télétravail. Est-ce que cette pratique est légale ? Il est effectivement possible de réduire la rémunération des salariés en télétravail uniquement si la durée du travail est elle aussi réduite dans le cadre des articles 185 et 186 du code du travail. Il n'est cependant pas possible de réduire la rémunération sans réduction corrélative de la durée du travail. Cette réduction du temps de travail ne peut se faire que dans la limite d'un maximum de 50% du salaire et de 60 jours après information et consultation des délégués du personnel et du représentant syndical dans l'entreprise. Certaines entreprises peuvent profiter de cette situation de crise pour licencier abusivement certains de leurs employés. Comment le droit du travail marocain défend-il les employés victimes de licenciement dans ces conditions ? C'est effectivement un comportement détestable et dommageable et ce d'autant plus qu'une alternative au licenciement brutal existe avec le fonds Covid-19 et la plateforme de la CNSS. Ceci étant, au Maroc, les licenciements économiques sont soumis à une autorisation administrative préalable. En conséquence, tout licenciement économique prononcé sans obtenir l'autorisation préalable du gouverneur sera abusif et ouvrira droit à indemnisation. La fermeture exceptionnelle pour force majeure permet, si la situation de force majeure est suffisamment caractérisée et démontrée, la suspension des contrats à durée indéterminée et non leur rupture. Elle permet en revanche la rupture des contrats à durée déterminée. Quelles sont les possibilités de recours pour les employés licenciés dans cette période ? Il est toujours possible de recourir à l'inspection du travail et aux tribunaux, notamment pour le dépôt de réclamations et de requête. Il convient également d'écrire à l'employeur et d'acter le licenciement abusif. Les services postaux continuent à fonctionner parfaitement.