«Morceaux de choix» est le titre d'un roman où le narrateur raconte ses aventures amoureuses avec des femmes. Le narrateur est un boucher, et il n'aime la viande de sa boutique que parce qu'elle attire de la chair fraîche. Visite guidée dans le monde d'un séducteur qui a beaucoup de tempérament. La couverture du livre est un vrai programme. Un homme se tient derrière un étal où sont accrochés des quartiers de viande. Sa tête se faufile entre deux gigots pour ne rien rater du spectacle de deux jambes féminines. Le boucher, de même que les bêtes écorchées qui garnissent sa boutique, sont reproduits en noir et blanc. Ils rappellent le négatif d'une photo. En revanche, les deux jambes sont en couleurs. Rien n'a été enlevé à leur réalité de sang et de chair. Le boucher accepte avec joie d'être plongé dans des tons fantomatiques pour célébrer la vie de l'objet de son désir. Ses « Morceaux de choix » sont en effet moins dévoués à la viande bovine et ovine qu'il vend la chair, qu'il convoite. D'ailleurs, le mot “morceau” doit provenir du marocain. En darija, il a une signification qui ne laisse aucun doute sur la passion exclusive du narrateur : Thami. Ce dernier nous raconte ses mémoires qui l'apparentent à un Casanova marrakchi. Tout est décrit avec force détail : les manœuvres de séduction, les assauts de la citadelle, et enfin la capitulation. Les histoires d'amour de Thami commencent toujours à sa boutique. Le plus clair des chalands sont des femmes, et le boucher ne s'embarrasse pas pour marquer son intérêt aux clientes de choix. Les détails sensuels sont nombreux dans le roman. À propos de Zineb : « je posai doucement la quotidienne demi-livre d'agneau. Ma main effleura la sienne, de manière apparemment accidentelle : elle était soyeuse et chaude ». Thami ne s'arrête pas dans ses assauts à des considérations morales. Les femmes mariées, les divorcées et même les voilées essuient ses assiduités. À l'une des voilées, il dit en guise de manœuvre de rapprochement : « Si tu t'en remets à ma conception des choses, je te conseillerai de commencer, avant tout par te découvrir un peu. Une beauté de ta trempe ne se vêt pas comme l'épouse d'un Taliban. Marrakech n'est pas Kaboul, voyons ! » Pour arriver à ses fins, le boucher utilise la viande pour soudoyer des complices qui l'aident dans ses intrigues amoureuses. Un lieu de rendez-vous discret, un informateur qui le tient au courant des faits et gestes de la femme qu'il pourchasse, il les obtient avec des rognons ou des escalopes. Son roman donne le vertige, parcequ'il est circonscrit dans un très petit espace. Tout commence avec la viande de la boucherie et tout finit dans la confusion charnelle. Parfois, la boutique sert même de lieu aux frasques amoureuses de Thami. Un narrateur au demeurant impudique et qui partage avec son lecteur les détails de la capitulation de ses femmes. Par ailleurs, « Morceaux de choix » se lit très agréablement. Il étonne par sa fraîcheur. En avançant dans sa lecture, on éprouve le besoin d'en apprendre plus sur son auteur Mohamed Nedali. On découvre dans la jaquette qu'il est né à Tahannouate en 1962 « dans une famille démunie ». Il est professeur de français depuis 1985 et « Morceaux de choix » est son premier roman. Dans ce livre, on trouvera tous les défauts d'un premier roman, c'est-à-dire, un ton excessif, un usage effréné des adjectifs et une complaisance dans certaines descriptions qui ne sont pas toujours du meilleur goût. En somme, l'auteur s'appesantit là où il devrait esquisser. Mais en dépit du fait que le livre ne participe pas de la grande littérature, il se lit d'une seul trait et peut même, à certaines pages, porter à l'enthousiasme. Son auteur y brosse d'ailleurs, l'air de rien, un portrait de la société où il vit. Machisme et corruption en sont les marques patentes. Au reste, notre Casanova, sans philosophie, n'est pas un homme sans cœur. Il épreuve un réel attachement pour sa toute première conquête. Avec Zineb, tous les ingrédients d'une idylle amoureuse sont présents : les pleurs, les élans lyriques, les serments solennels, les toujours et les à jamais. Mais même au plus fort de son histoire avec Zineb, Thami n'en dément pas de cette nature qui le porte au changement. Son seul principe constant dans la vie consiste à changer constamment de partenaire. Et en cela, le narrateur dénie toute responsabilité : «Etant comme Allah m'a fait, je ne saurais m'accommoder d'une seule femme».