Le sculpteur sénégalais Ndary Lo expose ses œuvres jusqu'au 14 juin à la galerie Bab El Kébir à Rabat. Au premier coup d'œil, ses œuvres rappellent celles d'Alberto Giacometti. Le Sénégalais s'en défend et, pour cela, il est prêt à se défaire de ses vêtements pour sortir des moyens persuasifs. «Je vais me déshabiller et vous allez voir !» Voir quoi ? Que les sculptures de l'auteur de cette phrase ressemblent plus à son anatomie d'homme sahélien qu'aux œuvres d'Alberto Giacometti. Ndary Lo est prêt à exhiber sa nudité pour prouver que c'est bel et bien de son corps et des hommes de son ethnie que ses œuvres filiformes et longilignes tiennent leur configuration et non pas d'une quelconque inspiration du célèbre artiste suisse. Ce jour-là à la galerie Bab El Kébir, il s'est contenté de retrousser très haut les manches de sa chemise pour montrer ses bras parfaitement minces. Mais il a fallu de peu qu'il ne montre d'autres parties de son anatomie. Nadary Lo souffre d'une étiquette. Celle qui confond au premier coup d'œil nombre de ses sculptures filiformes à celle de l'artiste suisse. Il faut dire qu'il est très difficile de regarder les œuvres du Sénégalais sans penser à celles du Suisse. Certes, la matière n'est pas la même. Alors que Giacometti utilise le bronze, Ndary Lo taille ses personnages dans du métal grossier, mais la configuration est là pour renvoyer le visiteur au déjà vu dans les plus grands musées d'art contemporain dans le monde. Ndary Lo se dit prêt à discuter avec n'importe qui pour montrer l'abîme qui sépare son art de celui de Giacometti. «Regardez mes sculptures comme elles sont aériennes, et allez voir la pesanteur de celles de Giacometti.» Il précise que les personnages de Giacometti gardent les mains collées contre le buste, tandis que les siens ont le geste ample. Ils sont en mouvement. Il explique son art par son vécu. De nombreuses sculptures sont constituées de fers à cheval. L'artiste dit qu'il a passé le plus clair de son enfance à jouer avec ces fers qu'il récupérait dans sa ville natale. «Les calèches y fonctionnaient comme des taxis». Il ajoute que son intérêt pour les hommes qui marchent est également autobiographique. Lors d'un séjour en Allemagne, il est surpris par la mobilité des gens dans les stations de métro. Le mouvement de ces personnes rompt avec la lenteur à laquelle il a été habitué en Afrique. «Le soir, en rentrant chez moi, je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir cette réflexion : si les Occidentaux sont plus développés que nous, c'est parce qu'ils marchent plus vite !» Et depuis, il sculpte des personnages en mouvement ! Ndary Lo a un discours construit sur son art. Il répète qu'il voyage «les mains dans les poches». Il part à la découverte la tête vierge. «Je m'adapte à tout. Je m'approprie tout». Il ajoute : «Je peux faire de l'art avec n'importe quoi. L'art n'est pas pour moi une question de savoir-faire, c'est une attitude». Il ajoute que ce qui lui importe le plus dans son exercice, c'est la sincérité. Ndary Lo ne réalise pas seulement des sculptures qui ressemblent à celles de Giacometti. Dans l'exposition de Bab El Kébir, on peut regarder une œuvre très curieuse. Il s'agit d'un personnage constitué d'un assemblage de fers à cheval. La posture de ce personnage rappelle celle d'une femme enceinte. D'ailleurs le ventre est proéminent. Et l'élément troublant dans cette œuvre vient d'une dizaine de têtes de poupées qui logent dans le ventre de la sculpture. D'autres sculptures sont recouvertes de filet de pêche ou de fils en plastique. Une installation intéressera également le visiteur. Il s'agit d'un ensemble de petites figurines, réalisées à l'aide de fils de fer. Certaines pendent comme des pinces d'un fil de linge. D'autres sont accrochées aux murs massifs de la galerie Bab El Kébir. L'on comprend alors que cet artiste sénégalais, né en 1961 et qui a remporté l'année dernière le premier prix à la Biennale de Dakar, est capable de réaliser des sculptures qui n'évoquent ni de près ni de loin celles de Giacometti. L'on s'étonne aussi de son entêtement à vouloir à tout prix détacher ses œuvres de celles de Giacometti tout en se cramponnant à la manière de l'artiste qu'il se défend de copier.