Le Web est à la fois un formidable outil de connaissance, de communication, de rencontre, d'ouverture mais peut-être en même temps tout le contraire, si mal maîtrisé, mal employé ou détourné du progrès par les semeurs de haine. J'étais invité à intervenir samedi lors de la table ronde organisée à Essaouira par la Fondation Mémoires d'Avenir que préside notre formidable ambassadrice en Norvège, madame Lamia Radi, et qui portait sur «l'esprit de Toumliline -et comment le faire revivre». (De 1952 à 1968, un monastère bénédictin -lieu de vivre-ensemble, de partage et de savoir, multiconfessionnel, dans les hauteurs d'Azrou, recueillit en son sein des enfants orphelins, issus de milieux pauvres ou d'autres dans le cadre de camps d'estivage. Tous bénéficièrent d'une qualité d'éducation qui marqua à jamais les parcours de leur vie. Le lieu ferma, mais sa mémoire reste vivante.) Mon sujet était : Comment gérer un quotidien pacifique quand l'individu est en interaction permanente avec une technologie qui donne accès à une «diversité sauvage» à l'échelle mondiale ? Je vous livre ici un résumé de mon intervention : Le Web est à la fois un formidable outil de connaissance, de communication, de rencontre, d'ouverture mais peut-être en même temps tout le contraire, si mal maîtrisé, mal employé ou détourné du progrès par les semeurs de haine. Un seul exemple vient démontrer cela : toutes les études faites montrent que l'immense majorité des jeunes qui s'est radicalisée, l'a fait sur le Web et non pas dans les mosquées. La face sombre du Web s'appelle embrigadement, fake news, théorie du complot, rumeurs, détestation de l'Autre… Aujourd'hui nous sommes tous confrontés à la violence, à la haine, à la destruction des sentiments et des valeurs telles que la solidarité, la fraternité, la bienveillance, dans notre quotidien certes, mais surtout sur la Toile dont l'effet démultiplicateur est terrifiant. Et il faut bien avouer que face aux nouvelles technologies les malfaisants ont une (plusieurs) longueur(s) d'avance sur nous. Existe-t-il des remèdes, des garde-fous ? D'après moi oui : ils s'appellent: terrain, culture, transmission et spiritualité, la spiritualité qui donne du sens à la vie. Et c'est là que l'expérience de Toumililine prend toute sa place. Il y a une chose dont je suis convaincu, quelque chose que j'ai appris sur le terrain, c'est bien que la paix se fera et se gagnera par, pour et avec les jeunes. Les jeunes d'aujourd'hui ne connaissent plus de frontières, d'un clic ils sont reliés au monde, or comme je viens de le dire, avec le Web le côté obscur de notre monde est démultiplié et les semeurs de haine se servent -avec une redoutable efficacité- des nouvelles technologies pour «bourrer des crânes», enseigner et diffuser la violence, propager le rejet de l'Autre, recruter de jeunes victimes, qui à leur tour feront des victimes. Notre défi est bel et bien aujourd'hui celui de ce que nous parviendrons à transmettre – en termes de valeurs- à ces jeunes, qu'hélas nous avons bien trop souvent laissé livrés à eux-mêmes. Le risque est grand de nous voir passer à côté des jeunes générations et donc d'hypothéquer l'avenir. Vivant repliés sur eux-mêmes dans des quartiers d'exclusion, repliés sur une pseudo identité fabriquée de bric et de broc et enfermés entre eux dans des réseaux sociaux qui ont de moins en moins tendance à être «sociaux». Soyons donc présents et offensifs ! Sur le terrain où il est impératif de permettre à la jeunesse d'émerger, de s'exprimer, de trouver sa place dans la société, tout en apprenant l'autonomie, la responsabilité. De passer d'un statut de spectateur à un statut d'acteur – pas seulement partenaire mais décideur. Tout comme il est primordial de redonner du sens au vivre-ensemble . Il ne peut y avoir de vivre-ensemble si la jeunesse ne se l'approprie pas, si elle est cantonnée à la marge et il ne peut y avoir de jeunesse épanouie -et donc ouverte sur autrui, sur les autres cultures – si elle vit repliée sur elle-même, sur une identité tronquée, sur le sentiment que tout ce qui est différent, tout ce qui lui est étranger est un ennemi. Le Maroc a inscrit sa diversité dans le préambule de notre Constitution, cette richesse il nous faut la faire vivre au quotidien, l'enrichir, la compléter, la protéger et sans cesse la renouveler. Je suis persuadé que la meilleure parade contre la haine, contre le rejet, le meilleur outil contre le repli, le meilleur instrument d'ouverture sur autrui, de connaissance de l'Autre est la culture. Donc le trrain ! Le terrain est le lieu où nous devons agir, c'est là que ça se passe ! Sans pour autant nier le virtuel, qui est aujourd'hui incontournable. Il est impératif d'investir la place : partageons-y de belles images, des valeurs, de belles actions : fabriquons-y du vivre-ensemble par des vidéos, des clips, des photos, des WebTV… La culture est la clé, sur le terrain et sur le Web ! Faire revivre l'esprit de Toumliline c'est cela : faire renaître le monastère dans la vraie vie et lui permettre «d'irradier» et faire naître un Toumliline virtuel qui transmettra ces valeurs sur la Toile.