Alors qu'ils tenaient absolument à participer à une importante exposition à Londres, douze peintres marocains ont fini par changer d'avis, préférant attendre des jours meilleurs pour la première grande manifestation de peinture marocaine en Angleterre. Et dire qu'ils voulaient transformer la manifestation en manifeste ! Ils se sont même réunis, il y a plus d'un mois, pour prendre une décision unanime. Après un moment d'hésitation, ils s'étaient accordés sur la nécessité d'exposer à Londres pour exprimer leur désaccord avec la guerre. Qui se soucierait de l'annulation de cette expo ? Qui l'attend pour la regretter ? Que vaut la peinture marocaine en Grande-Bretagne pour que les médias de ce pays s'émeuvent d'une telle annulation ? Onze des douze peintres participant à cette manifestation avaient alors décidé de s'exprimer au lieu de se taire. Une seule voix a marqué son opposition intraitable à une exposition à Londres. L'artiste Ikram Kabbaj nous avait déclaré alors : «je ne peux pas exposer dans un pays qui s'apprête à frapper l'Irak». Elle a été remplacée par le vidéaste Mounir Fatmi. Mais depuis, les choses ont bien changé. « L'odeur de la guerre est si insistante que l'on ne peut pas maintenir cette expo. On ne l'annule pas, mais on reporte», dit le peintre Fouad Bellamine. Le peintre Mohamed Kacimi nous a dit de son côté que l'idée de l'ajournement de la manifestation vient de lui. Lorsqu'on l'interroge sur les raisons de ne plus participer à cette manifestation alors que les peintres savaient depuis le début que la Grande-Bretagne allait emboîter le pas aux Américains, il répond : «nous avons toujours eu l'espoir que les hommes écouteraient la voix de la sagesse. Maintenant que cet espoir s'est évaporé et qu'il n'y a plus d'espace de dialogue, je ne vois pas comment l'art peut réussir là où la diplomatie a échoué ». Il ajoute que si l'exposition avait été réfléchie initialement comme un manifeste, peut-être qu'ils auraient pu faire le voyage à Londres. Cela n'est plus possible aujourd'hui, puisque les « autorités marocaines ont décidé de reporter l'exposition à une date ultérieure », selon Sylvie Belhassan qui commissionne la manifestation. « On ne pouvait pas continuer de travailler dans le flou. On était sur le point de transporter les œuvres avec tout avec ce que cela comprend comme stress relatif au changement des aéroports et aux assurances », dit-elle. Elle a ajouté que tout le monde a espéré que la guerre n'aurait pas lieu, mais cette possibilité est devenue incertaine au fil des jours. Elle a alors appelé tous les participants qui lui ont fait part de leur volonté d'ajourner l'événement. Elle a ensuite informé l'ambassadeur du Maroc à Londres qui s'en est référé à son ministère. La décision officielle du report de la manifestation a émané de cette instance. Rappelons que cette exposition est placée sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi. L'exposition à laquelle participent Aboulouaker, Fouad Bellamine, Mohamed Kacimi, Farid Belkahia, Abdelkrim Ouazzani, Khalil El Ghrib, Miloud Labied, Hassan Saloui, Mostapha Boujemaoui, Mounir Fatmi, Safaa Erruas et Hicham Benohoud, était prévue à la Brunei gallery de Londres du 16 avril au 20 juin 2003. Son report est un indice du fait que personne ne croit plus à la paix en Irak.