Le public n'a pas été au rendez-vous du rassemblement des artistes et des poètes, lundi au théâtre Mohammed V. Les interventions ont été marquées par une retenue qui a laissé très peu d'espace à la création. Seuls des peintres et quelques chanteurs ont fait une œuvre contre la guerre. On s'attendait à plus de monde. On craignait une bousculade devant la porte du théâtre Mohammed V. On appréhendait une foule immense, bigarrée, diaprée, fourmillante, tonitruante, coléreuse. Les forces de l'ordre se sont même déployées, anticipant sur d'éventuels débordements. Elles ont eu affaire à un public digne et poli qui est venu par à-coups. Il a honorablement occupé la salle de l'orchestre, mais sans la remplir. Sur scène, une grande toile était tendue. Le chanteur Abdelouahab Doukkali et des peintres marocains sont ensuite apparus. Accompagnés des taqqasims au luth de Abdelouhab Doukkali, les peintres Latifa Toujani, Fouad Bellamine, Mohammed Kacimi, Bouchta El Hayani, Abdellatif Zine, Bouchaïb Habouli, Abdellah Hariri, Abdelhaï Melakh et Mohammed Nabili se sont jetés sur la toile. Le premier à l'avoir étrennée est l'artiste Fouad Bellamine. Il a peint un pieu, une espèce de stalactite très pointue, qui peut suggérer une ogive. Le peintre Bouchta El Hayani a peint un casque de guerre. Kacimi a figuré des visages, criant une détresse des plus innommables. Latifa Toujani a peint un palmier, les autres peintres des colombes. Nabili a déversé un seau de peinture rouge sur la toile. Il a ensuite écrit en lettres noires et en arabe : non ! D'autres artistes ont peint des portraits qui font particulièrement ressortir la détresse exprimée par les yeux des personnages. Les globes de leurs yeux sont agrandis par des lignes circulaires qui contournent toute la cavité orbitaire. Ce qui leur donne cet aspect démesuré et terrible des ouvertures oculaires dans les crânes des squelettes. La mort dominait dans cette toile. Elle a également empreint les propos des autres intervenants. Le Ministre de la culture Mohamed Achaâri a eu beau rappeler avec beaucoup de vigueur que « la guerre n'est pas une fatalité », la tendance générale était au pessimisme. À l'image de l'intervention de l'humoriste Ahmed Snoussi qui s'en est pris violemment au gouvernement américain: «Ce n'est pas une guerre, c'est une agression, un acte de barbarie ! Que l'on engage cette action contre un Etat non démocrate, je veux bien ! Mais est-ce qu'il y a plus de démocratie au Qatar qu'en Irak ? L'émir du Qatar est ventripotent, parce qu'il transporte son peuple dans sa panse de peur qu'il ne se soulève contre lui !» Le cinéaste Saâd Chraïbi a lu ensuite une lettre ouverte au président des Etats-Unis, avant de céder la place à une prestation très applaudie de la chanteuse Nadia Ayoub, accompagné de Mahmoud Idrissi. Les paroles de cette chanson anticipaient sur la destruction de Bagdad. D'autres artistes ont occupé ensuite la scène. Abdelhak Zerouali, Touria Jabrane, Nabyl Lahlou, Mohamed Derham, Lhoussine Benaïz, Oulad Bouazaoui, Gouram Archach, Haj Younes, Omar Sayed ou encore les poètes Hassan Nejmi et Mohammed Bennis. Tous ont dit non à la guerre, mais très peu d'entre eux ont fait preuve de créativité dans leur intervention. La régie du théâtre Mohammed V n'a pas du tout contribué à multiplier les effets de son ou les éclairages. Du début jusqu'à la fin, une lumière uniforme a accompagné les interventions des artistes. Monotonie qui peut être considérée comme une volonté de décence de la part des organisateurs, mais elle a lassé plusieurs personnes qui ont quitté la salle au fur et à mesure que la soirée avançait. A la fin, il ne restait pas grand monde. La moitié de la salle était vide. Il a manqué un peu d'art à ce rassemblement d'artistes contre la guerre. Seuls les peintres s'en sont très bien sortis. Ils ont fait une œuvre valable plastiquement et qui exprime bien plus que tous les discours les horreurs d'une guerre imminente.