Driss Jettou a présidé lundi une réunion consacrée au phénomène des fonctionnaires fantômes. Une réunion qui a posé les premiers jalons de la lutte contre ce phénomène, qui prend des dimensions alarmantes. Peut-on se battre contre des fantômes ? Le combat serait-il égal quand on sait que ces fantômes ont la particularité d'être fertiles, ne cessant depuis des années de se reproduire et de se multiplier ? Ces fantômes-là, ce sont les milliers de fonctionnaires, titulaires et disposant d'un numéro de S.O.M., placés dans toutes les sphères de l'Administration, parfois promus et indemnisés, mais qui ne sont jamais là. Un phénomène qui n'est pas propre au Maroc, mais qui prend dans le « plus beau pays du monde » des proportions alarmantes, voire dangereusement folkloriques, tant par le nombre des fantômes en question que par le poids qu'ils représentent au niveau du budget de l'Etat, le volume global de la masse salariale représentant 12,8% du PIB (2004). A tel point que la Primature, inquiétée, s'est finalement saisie du dossier et a préparé tout un dispositif pour limiter les dégâts. Une réunion consacrée à l'examen de cette question, et présidée par Driss Jettou, a eu lieu lundi 14 mars à Rabat. Mais auparavant, posons le problème. Les chiffres qui traitent du phénomène parlent volontiers d'un nombre total de 80.000 fonctionnaires et agents relevant des services de l'Etat ou des collectivités locales « qui ne rejoignent pas leurs lieux de travail, ceux qui s'absentent en permanence ou encore ceux qui n'accomplissent aucune tâche ou mission au profit de leur administration». Un chiffre aussi exagéré, le nombre précité équivalant à 17% de l'effectif de l'Administration, évalué à plus de 500.000, que non vérifiable. Il n'en donne pas moins une idée sur l'étendue, et la gravité, d'une véritable tendance. Une tendance qui s'enrichit par le nombre des fonctionnaires que comprend une Administration donnée. Il n'est donc pas étonnant que ce soit dans des départements comme l'Intérieur, la Santé, mais aussi et surtout l'Education nationale, secteurs qui occupent le plus grand nombre global des fonctionnaires de l'Etat, qu'elle prend le plus d'ampleur. A elle seule, l'Education nationale, et d'après des chiffres avancés par Rachid Belmokhtar, du temps où il était ministre de tutelle, compte quelque 15.000 fantômes. Depuis, le problème n'a fait que s'aggraver. Et aucune initiative sérieuse n'a été entamée pour démasquer et sanctionner les fonctionnaires en question. D'autant plus que, souvent, ces derniers sont « couverts », soit par leurs collègues, soit par leurs supérieurs, ou encore par des coups de fil entre amis grands responsables ou ministres. Autre obstacle : si cette attitude est volontaire pour le plus grand nombre, d'autres se voient poussés vers la porte de l'inaction et, donc, l'absentéisme. C'est ce qu'on appelle le placard. Maintenant que la volonté politique d'assainir existe, quel dispositif adopter ? La question qui se pose d'elle-même a d'abord trait aux moyens de quantifier le phénomène. Parmi la batterie de mesures adoptée, il y a le recensement « strict » de ces agents et fonctionnaires. Le ministère de la Modernisation des secteurs publics est bien entendu impliqué. Cette traque se réalisera à travers un formulaire qui devra être rempli par tous les fonctionnaires. Les fonctionnaires payés et non recensés devront donc s'expliquer, en compagnie de leurs supérieurs hiérarchiques. Une manière de responsabiliser lesdits supérieurs et d'éradiquer le mal par la racine. A défaut d'un argument valable justifiant leur absence, et preuves à l'appui, ils seront sanctionnés. Les sanctions seront prises en application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur dans ce domaine, surtout celles ayant trait à l'abandon de poste et à la convocation, le cas échéant, des conseils de discipline pour se prononcer sur ces cas. Les sanctions peuvent aller de la suspension de leur salaire jusqu'à la révocation en passant par le remboursement des sommes indûment perçues depuis leur disparition dans la nature. Tous les services administratifs chargés de la gestion, du contrôle et du paiement prendront toutes les mesures et démarches susceptibles d'aider à l'éradication de ce phénomène. Louable, cette démarche n'en reste pas moins incertaine en terme de résultats concrets. Devant le choix du moment, il reste également difficile de ne pas se demander sur l'opportunité de cette démarche, alors qu'à côté, le succès de l'opération des départs volontaires semble loin d'être acquis. Le «dégraissage» de l'Administration marocaine, passerait-il également par la chasse entamée aux fantômes ? Même si tel est le cas, on ne peut de toute manière que s'en réjouir.