L'avant dernier concert de la tournée de Marcel Khalifa, pilotée par l'Institut français d'Agadir, a été un triomphe, vendredi dernier, au Complexe Touria Sekkat à Casablanca. Rarement un artiste aura communié d'une façon aussi totale avec son public. Marcel Khalifa n'a pas chanté. Son public en est resté sans voix ! Il a écouté religieusement les taqasims d'un luth en duo avec une contrebasse. Un petit instrument, tenu amoureusement contre le buste du célèbre interprète libanais, a donné le ‘la' à une gigantesque contrebasse qui dominait son instrumentiste, pourtant debout. L'Autrichien Peter Herbert a rempli sa fonction en jouant. Mais que Marcel Khalifa ne prononce pas un seul mot, cela a pris de court son public venu pour chanter avec lui. Ce public n'a pas pourtant protesté en réclamant une chanson. Il a respecté le choix de l'artiste. Bien plus, la chevauchée du luth l'a entraîné vers des espaces où l'Orient ne cesse de s'ouvrir sur d'autres mondes. Avec Taqasims, Marcel Khalifa a prouvé, pour qui ne le savait pas, qu'il n'est pas seulement cet auteur engagé qui fait écumer les salles. Il est également un grand compositeur, capable de donner de la densité à une composition, indépendamment du texte. Le luth arabe et la contrebasse occidentale ont fait un feu d'artifice à la musique. Rien n'a manqué : rythme, émotion, et grand raffinement des mélodies. Le contrebassiste a emboîté le pas au luthiste. Parfois en utilisant l'archet, mais le plus clair du temps en pinçant les cordes épaisses de son instrument. En y tapant aussi ! Les deux artistes ont transformé parfois le luth et la contrebasse en instruments à percussion. L'écoute très attentive du public a été récompensée à la fin du concert. Quand Marcel Khalifa s'est levé pour quitter la salle, des voix ont crié “Rita“. L'artiste libanais a exaucé le vœu de ce public, mais il n'a pas pu prononcer une phrase. Dès les premières notes, la salle s'est emparée du chant. Marcel Khalifa a laissé faire, vraisemblablement ravi, encourageant les voix, les guidant et leur servant après coup de contrepoint. Après cette chanson, les applaudissements appuyés, qui ont salué la fin de chaque composition des taqsims, ont cédé la place aux hourrahs et sifflements enthousiastes. Le public déchaîné a chanté encore avec Marcel Khalifa la très célèbre “Oumi“. Rarement, on aura vu lors d'un concert une communion aussi parfaite entre un interprète et son public. Rarement une soirée aura dégagé autant d'émotion. Interrogé après le concert par ALM sur les raisons de cette évolution du chant vers des compositions strictement musicales, Marcel Khalifa a répondu que cela correspond à sa préoccupation de rénover la musique arabe. Et l'étiquette d'artiste engagé ? “L'engagement, ce n'est pas prendre un drapeau et chanter des slogans. L'engagement, mon engagement, c'est de chercher continuellement de la belle musique. Il passe par la musique.“ Il ajoute que la musique lui permet d'exprimer des sentiments et des nuances qu'il ne trouve pas dans les paroles. “Le mot est limité. La musique infinie. Je peux dire par la musique tout ce que je peine à communiquer avec ma voix “. Il est vrai que pendant cette soirée, les compositions de l'artiste n'ont jamais été aussi parlantes.