Le chanteur libanais Marcel Khalifa a chanté, samedi soir, à l'ouverture du Festival de Rabat. On aura très rarement vu un artiste communier d'une façon aussi parfaite avec son public. Plusieurs personnes sont venues équipées de drapeaux palestiniens. Elles portent autour du cou l'écharpe symbolique de la Palestine : la koufia. L'ambiance est enflammée. Le public répète des slogans louant la résistance palestinienne et insultant Sharon. Il applaudit des deux mains, bat des pieds contre la tribune en bois. La 8ème édition du Festival de Rabat, dédiée à la Palestine, prend son plein de sens avec ce public-là. Elle le dépasse même peut-être, parce qu'une personne ignorant le pourquoi de ce rassemblement serait fondée de penser à un meeting ou une manifestation pro-palestinienne. Les deux doigts levés au ciel, en signe de victoire, ce public chante inlassablement. Il connaît par cœur les slogans. Il s'agit d'un public jeune, homogène, militant : le public du chanteur libanais Marcel Khalifa. Vêtu d'une chemise et d'un pantalon noirs, et armé de son inséparable luth, ce dernier a fait son entrée sur scène sous un tonnerre d'applaudissements. Il conforte d'emblée le public dans son militantisme pour la Palestine. Il commence par préciser : «On va chanter pour la Palestine. On salue les mères des martyrs, les enfants martyrs.» Et il interprète une chanson écrite par le poète Mahmoud Derwich. Il chante seul, accompagné seulement de son luth. La voix, et la poésie du texte, apportent le plus clair de l'émotion. Le public, qui a chahuté avant le commencement du concert, écoute religieusement le chanteur libanais, boit ses paroles. L'engagement de cette chanson laissait supposer que la soirée serait résolument palestinienne. La musique et le chant vont être indissociablement associés au militantisme de l'artiste. Cette supposition a été très vite effacée par l'entrée d'un trio d'instrumentistes. Marcel Khalifa a été rejoint par trois jeunes hommes : un pianiste, un violoncelliste et un percussionniste. Ils ont joué d'une façon riche qui remplit musicalement les oreilles avec des rythmes puisés dans le jazz. Un vrai enchantement ! Le luth du chanteur impose à chaque fois une limite aux autres instruments pour qu'ils ne franchissent pas la frontière qui dénature les phrases arabes. Il ne fait pas de doute que les trois musiciens sont issus du jazz. Ils enrichissent la musique de Marcel Khalifa. Ce dernier a interprété deux morceaux successifs avec ce groupe - sans chanter. Le troisième morceau, dédié à Zeriab, comprend un maoul si bien traversé par le souffle de la nostalgie que la nuit palestinienne a cédé la place à la magnificence andalouse. L'on se rend compte alors que Marcel Khalifa, même s'il est resté fidèle à l'esprit de son répertoire, a bien évolué depuis les années 70 et 80. L'intégration de musiciens modernes dote ses chansons d'une densité musicale qu'elle ne possédait pas jusque-là. Il s'agit certes de chansons qui reposent sur le texte, mais sans lui sacrifier pour autant la musique. Oumayma El Khalil a fait son entrée ensuite. Elle a chanté a-capela. Elle possède une voix pure qui a porté à son degré suprême le recueillement des spectateurs. Ceux-ci ont été réveillés pour chanter tous, comme un seul homme, lorsque Marcel Khalifa a joué les premières notes de «Mountassiba Alkamati amchi». Rien ne peut décrire la communion de Marcel Khalifa avec son public. Ce public chante si bien qu'il a été applaudi à la fin par l'artiste en signe d'admiration. La même communion s'est répétée lorsque Marcel Khalifa a interprété des chansons comme «Rita» ou «Oumi» avec laquelle il a terminé en apothéose son concert. Un seul mot, sorti de plusieurs bouches, peut décrire ce concert : «Ya Salam!»