Ils sont commerçants, hommes d'affaires, travailleurs, employés d'entreprises nationales et étrangères, qui ont choisi, depuis longtemps parfois, de vivre en Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, ils sont inquiets pour le sort de ce pays et pour leur propre destin hypothéqué par une situation de plus en plus chaotique et incertaine. Du côté des pouvoirs publics nationaux, c'est plutôt l'indifférence et la passivité qui prévalent. Les Marocains installés en Côte d'Ivoire, environ trois mille personnes, n'ont qu'une seule chose à faire : prier pour que ce pays d'Afrique retrouve définitivement le calme et la stabilité. Attitude où se mêlent résignation et espérance. Le même cauchemar vécu par le pays en 1999 se répète. Ceux qui ne sont pas rassurés par la tournure prise par les événements, qui croient que le pire reste à venir, se sont empressés à plier bagage, laissant parfois derrière eux biens et maisons. Retour au bercail avec femmes et enfants. Ceux-là se tournent vers les pouvoirs publics marocains pour les indemniser des dommages qu'ils ont subis. Ne pouvant pas faire autrement, la plupart des concitoyens ont décidé de rester car ils ont misé tout sur la Côte d'Ivoire où ils sont installés depuis plus de 15 ans pour certains et plus de 40 ans pour d'autres. Ayant fait le choix de construire leur vie là-bas, ces Marocains originaires notamment de Fès et de Meknès, établis essentiellement dans le commerce de la bonneterie à Abidjan, ont du mal à se résoudre au départ sans envisager de tout perdre, de tout laisser tomber du jour au lendemain. Le fruit de labeur de toute une existence acquis au prix d'efforts continus. Alors, ils parient, entre espoir et inquiétude, de voir leur pays d'accueil ou parfois de naissance sortir de la crise où il s'est embourbé. Ainsi va la situation en Côte d'Ivoire depuis 5 mois environ lorsque “la Suisse de l'Afrique'', donnée jusqu'ici pour un modèle de développement et de stabilité, bascule soudain dans le chaos. Ambassadeur du Maroc à Abidjan depuis septembre dernier, Hassan Bennani est dans le même état d'esprit. Lui aussi appelle de ses vœux la réconciliation des Ivoiriens et la restauration de l'ordre. “J'ai vu dimanche dernier mes compatriotes dans leurs magasins dans une capitale qui a recouvré la sérénité. Ils sont optimistes et ils ont retrouvé le sourire“, indique-t-il d'une voix où pointe une légère note d'inquiétude. Il ajoute: “J'ai réuni la communauté marocaine dans les jours qui ont suivi le déclenchement de la crise en vue de préparer des cellules de réflexion et mettre au point un dispositif dans la perspective d'un scénario-catastrophe. Heureusement''. L'ambassadeur, qui juge “positif'' le dernier discours à la nation du président Laurent Gbagbo, souligne que la communauté française est la plus menacée de toutes leurs homologues du pays. Est-ce une manière de signifier que les Marocains, eux, n'ont rien à craindre et que leur sécurité est garantie d'office ? Est-ce pour cela aussi que le ministère des Affaires étrangères marocain, contrairement à son homologue français, n'a pas jugé nécessaire de lancer des conseils d'évacuation à ses ressortissants ? Interrogé à ce sujet, le chef de la diplomatie marocaine, Mohamed Benaïssa, a expliqué d'une voix rassurée et rassurante : “Les choses se passent bien en Côte d'Ivoire pour nos ressortissants. Ce sont les autorités ivoiriennes qui se chargent de leur sécurité.'' La situation de la communauté marocaine en Côte d'Ivoire, estimée officiellement à quelque 3000 personnes, n'a pas eu vraiment d'écho au Maroc. En dehors d'une question orale posée récemment au Parlement, aucune initiative officielle n'est venue publiquement montrer une quelconque préoccupation pour le sort des Marocains d'Abidjan. Faisant partie de la délégation officielle se trouvant actuellement en pèlerinage dans les Lieux Saints, l'USFP Nouzha Chekrouni ministre délégué auprès du ministère des affaires étrangères et de la Coopération chargé des RME n'a pas estimé utile de se rendre sur place pour aller s'enquérir des doléances et des craintes de ses compatriotes livrés à la peur et à l'inquiétude. Cette indifférence fait naître chez les intéressés le sentiment qu'ils sont des citoyens de seconde zone dont le destin intéresse peu les autorités de leur pays d'origine. “Tout se passe comme si pour les responsables marocains les RME se limitaient à ceux qui sont installés dans les pays européens et non pas aux autres vivant dans des pays moins lotis', a fait observer un connaisseur de l'Afrique.