Le réalisateur Nourredine Lakhmari vient de terminer les prises de vue de son long-métrage « Le Retour », après un tournage tumultueux. Les épreuves de ce film commencent déjà à faire grincer des dents, compte tenu de leur violence. ALM : Certains ont parlé d'une malédiction, compte tenu des retards accumulés dans le tournage de ce film… Nourredine Lakhmari : Il y a eu des contretemps, des problèmes et non pas une malédiction. C'est vrai que le tournage a commencé il y a un an et demi, et qu'il aurait dû se terminer depuis longtemps. Mais il faudrait un jour aborder frontalement les coproductions, et les concessions que les cinéastes sont contraints d'accepter pour satisfaire tous les producteurs. En ce qui me concerne, j'ai refusé de faire la moindre concession. J'ai fait mon film comme je le voulais. Cette exigence a été une source d'ajournements continuels. Indépendamment de l'exigence de qualité, il y a eu des problèmes. Vous ne souhaitez pas en parler? Bien sûr que je peux en parler. Mon premier coproducteur marocain s'est désisté à un moment où il ne fallait pas. Je comptais beaucoup sur lui pour régler les détails techniques et logistiques relatifs au tournage. Avec son abandon, je me suis retrouvé seul pour faire le film. En plus, comme mon long-métrage est construit sur deux parties, je pensais boucler une partie avant de réfléchir au montage financier de la seconde. C'était une erreur ! Et dorénavant, je ne ferais plus un film par petits bouts. J'ai eu aussi un accident de voiture qui m'a paralysé pendant trois semaines à Oslo. Les acteurs avaient pris entre temps des engagements pour d'autres tournages, et j'ai été obligé de les attendre… Mais peu importe ! Les négatifs sont là. Le tournage est terminé, et “Le Retour“sera prêt pour la projection au mois de mars 2004. Pourquoi ce titre “Le Retour“? Parce qu'il est question du retour d'un personnage au Maroc, après 50 ans d'absence. Il s'agit d'un Français qui était photographe à l'armée pendant la période du protectorat. Il a été témoin de scènes que le temps n'a pas réussi à effacer. Il revient pour chercher la rédemption, la paix intérieure. Il a vu et s'est tu ! Avec les années, le poids des choses tues est devenu tellement oppressant qu'il ne pouvait plus respirer loin de la terre où il a filmé mentalement certaines scènes. Qu'a-t-il vu ? Ce qui dominait à l'époque dans le rapport des militaires français avec leurs prisonniers marocains. Les personnes qui ont vu les rushs trouvent ces scènes très dures. Mon producteur français a été même choqué. Il a jugé dévalorisante la vision que je donne des militaires français sous le protectorat. Il m'a demandé d'estomper les images, j'ai refusé ! Il a renoncé à coproduire mon film. Les images qu'il considère comme violentes sont un élément dramatique très important pour moi. Avez-vous présenté les Français en bourreaux et les Marocains en victimes ? Parler de bourreaux et de victimes, c'est déjà émettre un jugement moral. Dans mon film, il n'existe à aucun moment une appréciation morale sur les actions des personnages. Il existe un contexte et des attitudes conformes à la conduite en vigueur, lors de cette période de l'Histoire. J'ai collé aux faits, en essayant de faire un film à la fois réaliste, mais qui n'obéit pas aux dichotomies : bien/mal, méchant/ bon. Les soldats français sont dans leurs rôles lorsqu'ils interrogent avec brutalité des prisonniers marocains. Ils sont au service de leur pays. En éléments disciplinés, ils s'acquittent de la tâche qui leur était assignée. Intervient après le libre-arbitre dans l'évaluation des ordres. Intervient le moi face à une situation où dominait la logique du groupe. Une situation qui portait les uns à la résistance, les autres à ce qu'ils appelaient “la pacification“ du pays. Dans ces logiques de groupe, émerge l'humain qui a poussé le photographe à revenir au Maroc, 50 ans après. En somme, vous avez été plus intéressé par les relations humaines que par la situation du Maroc pendant cette période? C'est à moitié vrai, parce que j'ai voulu montrer ce qui est viscéral dans l'homme. La haine, l'amour. Le langage des tripes. En somme, tout ce qui n'obéit pas forcément à la raison. Mais à côté de ces composantes universelles, j'ai voulu faire un film sur le Maroc. Mon Maroc, loin des cartes postales sur les rapports angéliques entre Marocains et Français. À l'opposé des clichés sur Jemaâ El Fna et autres sites vendables aux touristes. La partie de mon film portant sur le Maroc contemporain correspond au regard que je porte sur mon pays. De ce point de vue-là, j'ai pris du plaisir à faire ce film, parce que je l'ai réalisé comme je le voulais. Je n'ai reculé devant rien. J'ai voulu montrer le Maroc sur deux périodes situées loin dans le temps l'une de l'autre, mais indispensables pour comprendre la réalité du pays, telle que je me la représente au moins. Si j'ai été ambitieux au point d'avoir rendu le film compliqué ou difficile, j'en porte l'entière responsabilité. Quel a été le budget de ce film et qui sont les comédiens qui y jouent? Le budget réel du film s'élève à 16 millions de dirhams, financés à part égale par le Maroc et la Norvège. Quant aux comédiens, le rôle du photographe français est interprété par Jacques Zabor. Côté marocains, il y a Khalid Benchagra, Abdellah Didane, Driss Roukh et une cheikha, inconnue au bataillon, Keltoum Hajjami. Je pars dans une semaine en Norvège pour la post-production, et mon vœu le plus cher, c'est que “Le Retour“ soit projeté en avant-première au Maroc.