Les démissionnaires expliquent leur geste par le fait que le programme annoncé de l'Ircam n'ait pas été appliqué. Selon eux, les principaux points seraient restés figés au stade de professions de foi, ce qui aurait conduit à la marginalisation de la langue amazighe du système de l'enseignement et des outils de communication publics. A peine deux ans et demi d'existence, l'Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) souffre déjà de graves problèmes de fonctionnement. Certains de ses membres ont décidé de s'insurger contre les "forces opposées à l'amazighité" et de demander la constitutionnalisation de la langue amazighe. Ceux par qui le scandale est arrivé sont au nombre de sept. Abdelmalek Ousaden, Mohamed Boudhan, Hassane Banhakeia, Mohamed Ajaajaa, Mimoun Ighraz, Ali Bougrine et Ali Khadaoui. Le lundi 21 février, ces sept personnes ont décidé de "se retirer définitivement" du Conseil d'administration dont ils sont membres actifs depuis la création de l'Institut. Ce retrait collectif (même si les concernés refusent d'utiliser le terme "démission") a plusieurs raisons. Justement, dans un communiqué qu'ils ont rendu public, le jour même de leur démission, les sept membres du Conseil d'administration estiment que l'action de l'IRCAM "demeure sans effet palpable dans la réalité quotidienne de l'amazighité qui se trouve toujours dans son état d'avant 2001", date à laquelle l'IRCAM a été créé. Les démissionnaires soulèvent les cas de trois grands domaines. L'enseignement, tout d'abord. Les protestataires reprochent aux ministère de l'Education nationale qui avait annoncé la généralisation de l'enseignement de l'amazigh à l'horizon 2008-2009, de continuer à déclarer officiellement son attachement au "livre blanc" et à la "charte nationale", deux documents élaborés avant 2001 et qui réservent à la langue amazighe "la fonction humiliante de support d'apprentissage de l'arabe durant les deux années du primaire". Le deuxième domaine est celui de la communication. Pour les sept démissionnaires, "l'amazigh est le parent pauvre des médias audiovisuels publics". Le département de Nabil Benabdellah, qui aurait avancé l'argument classique "du manque de moyens", a été sévèrement critiqué car les démissionnaires ont noté que "ce prétexte ne l'a point empêché de lancer deux nouvelles chaînes publiques arabophones et une troisième est en cours". Troisième domaine où l'amazighité serait marginalisée: la vie publique. Il s'agit de la formation des cadres de la communication, des magistrats ou des agents d'autorités qui se fait exclusivement en arabe. "Les caractères Tifinaghes ne sont pas autorisés à dépasser l'enceinte de l'IRCAM", regrettent les mécontents. Ces derniers indiquent également qu'à l'état civil, les parents sont privés du droit de donner des prénoms amazighs à leur progéniture. En définitive, les démissionnaires du Conseil d'administration de l'IRCAM ont constaté que "les forces opposées à l'amazighité, surprises au lendemain de la création de l'IRCAM, se sont ressaisies et ont décidé de bloquer toute initiative visant la réalisation des objectifs définis dans le Dahir de création de l'Institut". C'est la raison pour laquelle ils exigent que la Constitution du Royaume stipule expressément que l'amazigh est la langue officielle de l'Etat. "Sans cette consécration constitutionnelle et sans lois s'imposant à tous, l'amazighité ne recouvrera aucun de ses droits justes et légitimes". Aussi, les démissionnaires conditionnent leur retour au Conseil d'administration de l'IRCAM à l'exécution de ces préalables. Force est de constater que la question de l'amazighité est aujourd'hui, au Maroc, une question extrêmement sensible. Elle risque de devenir une bombe à retardement si les discours "sentimentalistes" ne cèdent pas la place à une approche rationnelle, pragmatique et courageuse. Qui sont ces "forces opposées à l'amazighité"? En tout cas, ce ne sont pas les rédacteurs du communiqué qui répondront. Ils ont unanimement décidé de ne faire aucun commentaire à la presse, et se tenir donc aux termes du communiqué. Ce malaise, certainement partagé par d'autres membres, risque de porter atteinte à l'action même de l'Institut. Ce dernier, à vocation purement culturelle, n'est pas habilité à se prononcer sur des questions politiques. C'est en substance ce que le recteur de l'IRCAM, Ahmed Boukous, avait déclaré à ALM dans un précédent entretien. Toutefois, l'Institut risque, à terme, de devenir une sorte de Tour solidement fortifiée, s'interdisant de débattre des questions brûlantes d'actualité seraient-elles éminemment politiques. Ahmed Boukous est tenu de réaliser un certain équilibre entre, d'une part son droit de réserve que lui dicte la fonction de recteur, et d'autre pat la sauvegarde de l'amazighité conformément aux valeurs pour lesquelles il a lui-même milité. Une tâche ardue, certes, mais qui ne tente rien n'a rien. Ne faut-il pas commencer par demander une refonte des statuts de l'IRCAM pour le débarrasser des contraintes (pour ne pas dire des obstacles) érigées par le ministère des Finances?