Accusant l'Etat, l'université et l'entreprise de non-assistance à jeunes diplômés en danger, Jamal Belahrech, directeur général du cabinet de recrutement MANPOWER-Maroc déplore l'absence de référentiel en compétences au Maroc. Pour lui, ce ne sont pas les diplômes qui font l'efficacité, encore moins la réussite. ALM : En votre qualité de consultant, comment jugez-vous le marché du travail au Maroc ? Jamal Belahrech : Si l'on s'arrête aux chiffres, l'on remarque que les offres d'emplois sont de plus en plus restreintes. Les entreprises bloquent leur recrutement à cause de la conjoncture économique actuelle. Mais il y a aussi, et surtout, le fait que le marché d'emplois lui-même n'est pas structuré. Il n'existe pas de référentiel ni en compétences ni en salaires. L'économie marocaine est basée essentiellement sur les PME. Or, ces dernières ne sont pas organisées en matière de ressources humaines. Et même si les cabinets privés de recrutement assurent l'insertion de quelques cadres, ils n'arrivent pas à répondre au besoin énorme qui existe en emplois. Il faut noter, à cet égard, que l'intermédiation publique est totalement absente. Et ce ne sont pas les annonces que l'on trouve dans des journaux qui absorberont ces millions de chômeurs, dont 60% sont de jeunes diplômés. A quels facteurs attribuez-vous ce manque de dynamique en matière d'offre d'emplois ? Je l'attribue au manque de vision qu'accusent les institutions publiques sur les métiers d'avenir. Si, aujourd'hui, le out-put en compétences n'est pas tout à fait à jour, c'est que l'école et l'université marocaines n'ont pas su jouer le rôle de tremplin qui leur a été assigné. Le problème est en grande partie lié à l'éducation à la base, doublé d'une inadéquation entre la formation et les besoins du marché. A part quelques écoles privées qui disposent de moyens pédagogiques à même de qualifier leurs étudiants pour le monde du travail, la majorité des compétences est complètement à la masse. Sans oublier le manque, sinon l'absence, de contribution des entreprises dans l'intégration des jeunes diplômés. L'on aurait dans ce sens tendance à accuser l'entreprise marocaine de non-assistance à jeunes diplômés en danger. Or, c'est un devoir national que de prêter la main à ces jeunes, par des stages de formation. Comment sortir de ce cercle vicieux ? En travaillant ensemble. J'entends par là que tous les intervenants précités (Etat-Univesité-Entreprise), doivent être impliqués dans l'acte de sensibilisation et d'intégration des jeunes diplômés aux nouvelles filières et l'étude du contenu des écoles. Le tant attendu « Observatoire des métiers », la seule plate-forme possible à une telle initiative, doit absolument voir le jour. L'adéquation formation-emploi ne pourrait également être réalisée qu'en impliquant les entreprises au processus de formation, en organisant des visites d'entreprises, des stages et en invitant des cadres à animer des ateliers ou donner des cours au sein même des établissements de formation, les écoles et les universités. Ce qu'il faut, c'est mettre tout un chacun devant ses responsabilités. Avoir un diplôme, quelle qu'en soit la valeur, n'est pas suffisant pour décrocher un emploi. Quelles sont les qualités prérequises pour séduire son futur employeur et s'imposer sur le marché ? Je pense qu'il faut arrêter de raisonner en termes de diplômes. Ce n'est qu'un simple passeport. Le visa est la compétence et le potentiel humain dont un diplômé dispose, ou non. La politique visant à avoir des têtes pleines, et former des beni-oui oui, a prouvé son inefficacité. Ce qu'il faut désormais, c'est des têtes bien faites. L'entreprise est un environnement qui change tout le temps. L'employé idéal est celui qui arrive à suivre cette évolution incessante du marché du travail et qui est capable de se remettre constamment en question, d'écouter et de gérer des projets. Là est la définition même de la notion de « collaborateur ». Or, sur le terrain, les employés, et même les stagiaires, attendent qu'on leur dise ce qu'ils doivent faire. Sans être coupables, ils sont eux-même responsables de cette situation. Au lieu de les acculer à un rôle de spectateurs de leurs carrières, il faut reformater les jeunes employés et en faire des acteurs. Serait-ce l'incompatibilité des compétences marocaines avec le marché de l'emploi qui pousse les employeurs à préférer des profils qui viennent d'ailleurs ? Il y a un peu de ça. Mais il y a surtout cette forme de colonialisme intellectuel que subissent toujours nos acteurs et opérateurs économiques et qui fait qu'ils ont tendance à recruter les diplômés des universités européennes ou, de préférence, nord-américaines. Des diplômés qui se révèlent, souvent, aussi mauvais que les autres. Les compétences made in Morocco ne manquent pas. Mais, il est nécessaire qu'elles aient les outils de se mettre en valeur, de s'exprimer et de négocier avant d'aller au «front». Plusieurs jeunes diplômés réussissent à décrocher un premier emploi, mais n'arrivent pas à s'imposer. Quelle est pour vous l'attitude à adopter pour réussir son intégration ? D'abord, ne pas essayer de s'imposer par son diplôme, mais par son potentiel et ses habiletés. Il est nécessaire aussi de faire preuve de beaucoup d'humilité. Il faut se dire que bien des choses restent à apprendre. Pour cela, il faut chercher constamment à travailler en équipe et communiquer avec ses collègues. La constance dans la production et la qualité du rendement jouent énormément dans son intégration ou non dans le milieu professionnel. C'est une fois toutes ces priorités assurées qu'une nouvelle recrue pourrait discuter son plan de carrière et prétendre à une meilleure rémunération.