Pour "conquérir le pouvoir", les islamistes d'Al Adl Wal Ihssane pensent qu'il faut commencer par avoir une bonne représentation au sein de l'armée avant de passer par les urnes. Pour ce faire, deux expériences pilotes sont en cours à Fès et à Rabat. L'expérience vécue par les islamistes du Front Islamique du Salut (FIS) en Algérie et les étapes par lesquelles ils sont passés depuis la création de leur mouvement jusqu'à ce jour ont toujours été une source d'inspiration pour les islamistes marocains, notamment ceux d'Al Adl Wal Ihssane (Justice et bienfaisance). Aussi invraisemblable que cela puisse-t-il paraître, l'échec du FIS en Algérie est considéré par les visionnaires du mouvement dirigé par Cheikh Abdessalam Yassine comme une leçon dont ils doivent s'inspirer pour éviter toutes les erreurs de leurs prédécesseurs algériens. Ainsi, les dirigeants d'Al Adl Wal Ihssane considèrent que la voie empruntée par les "frères" du FIS a été une erreur dès le départ. Pour eux, les islamistes algériens avaient trop misé sur la conquête du pouvoir par la voie des urnes et en utilisant le système démocratique comme étant le chemin le plus court vers le pouvoir avant d'opérer une volte-face et de reconquérir la rue par la force en décrétant la nullité du système démocratique. Cette stratégie que voulait utiliser le FIS algérien a vite démontré son non-fondé puisque tous leurs calculs ont été faux dès le départ. Rappelons que dès que le FIS avait donné la preuve qu'il pouvait réellement accéder au pouvoir à travers les urnes, l'armée algérienne était intervenue pour mettre fin à l'ambition du FIS et avorter le processus électoral qui était en cours. C'est pour cette raison que le mouvement d'Al Adl Wal Ihssane refuse d'intégrer la vie politique et de tenter, comme le veut l'usage démocratique, d'arriver au pouvoir à travers les urnes. Ce refus, ils l'attribuent à des raisons d'absence de transparence et de garanties de neutralité de l'Etat dans les opérations électorales. Mais, tout connaisseur de la véritable stratégie à long terme des islamistes d'Al Adl Wal Ihssane sait que c'est faux. En effet, le mouvement de Yassine a, dès la fin des années quatre-vingts, pris conscience que, pour conquérir le pouvoir, il faut accéder à ce qu'ils appellent : les clefs du "Fath" (Fath : expédition militaire destinée à conquérir une région). Parmi ces derniers, l'armée figure en premier lieu. De ce fait, ils estiment que tant qu'ils n'auront pas réussi à avoir une proportion assez importante de sympathisants au sein de l'armée, ils ne se mobiliseront jamais pour une conquête du pouvoir. Ainsi, le mouvement d'Al Adl Wal Ihssane a mis en œuvre une stratégie d'infiltration dans les rangs des forces armées. Une stratégie qui est basée sur les mêmes principes que celle utilisée pour la propagande destinée aux civils. Ainsi, des militants bien introduits dans les milieux du mouvement estudiantin d'Al Adl Wal Ihssane, par exemple, affirment qu'approcher les militaires et gagner leur sympathie figure parmi les mots d'ordre donnés en discrétion aux militants vivant à proximité des lieux de résidence des militaires. À titre d'exemple, on citera deux cas concrets. Le premier est celui du campus universitaire de Dhar Mhraz de Fès, qui se trouve à côté des casernes militaires de la ville, et où il existe un espace d'habitat où les deux collectifs, étudiants islamistes et militaires, cohabitent. Ainsi, les dirigeants des étudiants d'Al Adl Wal Ihssane dans cette ville incitent leurs adeptes à tenter par tous les moyens de gagner la sympathie de leurs voisins militaires qui vivent dans des situations socialement identiques. Le deuxième cas et qui constitue aussi un laboratoire d'expériences du mouvement d'Al Adl Wal Ihssane est celui du quartier Akkari à Rabat. Dans ce quartier de la capitale, les islamistes d'Al Adl Wal Ihssane, vu la proximité des casernes militaires et le nombre très important de soldats et sous-officiers y habitant, ont mis sur pied un dispositif de soutien social et financier ayant pour cible prioritaire les familles de militaires. Ce dispositif est, lui-même, chargé d'étudier l'évolution de la situation et d'établir des rapports dans ce sens au "cercle politique" du mouvement de Abdessalam Yassine. Bref, ces deux exemples démontrent à quel point ce mouvement islamiste essaye, par tous les moyens, de réussir une infiltration au sein de l'armée et comment il prévoit d'y accéder en utilisant des moyens de proximité sociale.