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France : Les démons de l'islamisme (57)
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 15 - 02 - 2005

Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois viennent de publier, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre.
Le directeur des RG dénonce le «double discours»
Assemblée nationale, 9 juillet 2003
Il y a des étiquettes lourdes à porter, des réputations qui collent à la peau. Et qui sont au cœur des événements actuels. L'Union des organisations islamiques de France aura ainsi du mal à se défaire de l'image d'une association rodée au double discours. Distribuée aux principaux responsables du ministère de l'Intérieur, une note des RG l'affirme noir sur blanc : «L'UOIF développe une politique de propagande, où elle s'attache à promouvoir officiellement une image modérée. Le double langage à l'égard des autorités publiques est de règle (…).
Toute dérive de langage est proscrite et la propagande la plus virulente diffusée auprès des seuls initiés 1.» Ce qui est vrai pour l'UOIF l'est aussi, selon les RG, pour une autre organisation musulmane, arrivée en tête aux élections du GFCM : la Fédération nationale des musulmans de France. Le document mentionne : «Bien implantée au sein de la communauté marocaine, elle véhicule toujours sur bien des aspects une idéologie quelque peu fondamentaliste, même si le principal objectif de M. Bechari, son président, demeure d'implanter en France un Islam à la française. L'intéressé demeure pour l'instant beaucoup trop intransigeant dans certains domaines pour mettre véritablement en pratique cette idée.» Les fondamentalistes, selon la terminologie des RG, pratiquent donc la technique du camouflage : respectueux des valeurs de la République vis-à-vis de l'extérieur, intransigeant en interne.
L'analyse n'est pas nouvelle. C'est même un leitmotiv des services du ministère de l'Intérieur. Le 5 août 1994, alors que l'Algérie bascule dans le sang, le gouvernement décide de prendre des dispositions en France «concernant le FIS et les menaces d'attentats».
Suite à une réunion des services de police présidée par Charles Pasqua, son directeur de cabinet écrit : «Surveiller l'UOIF et le centre de Bouteloin, éviter que les participants du centre ne reçoivent de bourses de l'État.» Cet institut contrôlé par l'UOIF assure la formation d'imams. En 1997, les RG relèvent que l'UOIF a condamné les attentats de 1995 en France, revendiqués par le groupe islamique armé. Mais le service ne croit guère à une sincérité totale des dirigeants de l'UOIF : «Leur véritable attitude est toutefois suspecte : (…) certains adhérants, surtout chez les jeunes, cautionnent les actes commis par les maquisards du GIA.» Le président Lhaj Thami Breze et le secrétaire général Fouad Alaoui sont mis en cause : «Ils pratiquent à merveille l'art du double langage (…).
Se montrant conciliants envers les autorités (…), ils tiennent en privé des propos ne laissant planer aucun doute sur leurs conceptions d'un Islam rigoriste refusant toute intégration dans notre société.» Le président de la FNMF Mohamed Bechari est classé dans la même catégorie des républicains à géométrie variable: «Multipliant les contacts avec les hommes politiques de tout bord, il opte pour un Islam tolérant et se veut l'apôtre de l'intégration de la communauté musulmane dans notre société. En privé, il tient des propos tout à fait différents qui ne laissent planer aucun doute sur sa préférence pour un Islam fondamentaliste et sa fidélité aux idées défendue par les Frères musulmans2.» Les dignitaires musulmans protestent contre ces suspicions qu'ils jugent infondées. Il reste que ce sont pourtant ces deux mouvements auxquels Nicolas Sarkozy a accordé l'honorabilité en créant le fameux CFCM. Devant la mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, Yves Bertrand, patron des RG de 1995 à 2004, enfonce le clou et explique son analyse du comportement de l'UOIF : « Ce sont des personnes qui contrôlent très bien leur vocabulaire, en tout cas publiquement, car, en privé, c'est autre chose.
Il y a souvent deux langages : celui destiné aux institutions françaises, sans aucun dérapage, et celui à l'adresse de leurs jeunes adhérents ou militants, légèrement différent3.» Le député Jacques Myard en profite pour faire étalage de sa connaissance des affaires religieuses : «Dans cette école du wahhabisme, surtout chez les chiites, il existe la démarche de la Taqia. Taqia qignifie en arabe «visière», c'est-à-dire que l'on avance masqué. La taqia consiste pour ces personnes à faire le gros dos quand la situation est fermée, d'avancer ses pions et de tenir le langage de celui que l'on a en face pendant un temps, pour remonter à l'arrière.» Ces propos sévères semblent confirmés par le travail de terrain. Un officier des RG de la préfecture de police de Paris confirme que ses services ont été témoins de ces grands écarts. Le policier évoque une organisation islamique turque: «Début 2004, des jeunes ont rappelé à l'ordre les dirigeants, dont ils trouvaient le discours trop bienveillant à l'égard des autorités. Ces derniers leur ont répondu qu'ils devaient faire bonne impression auprès des pouvoirs publics.» Ce discours adapté en fonction de l'assistance semble pratiqué dans les mosquées. Se sachant surveillés, les imams radicaux franchissent peu la ligne jaune. Les prêches du vendredi, écoutés par des oreilles indiscrètes, font l'objet de notes régulières des RG. Yves Bertrand explique : «Mais c'est ensuite, comme à la fin de la messe de notre enfance, que les gens parlent, notamment les jeunes. On découvre alors des discours qui n'ont rien à voir avec le prêches de l'imam.» Duplicité à tous les étages? L'art du double discours paraît en fait un exercice obligé des grandes fédérations pour «tenir la base». Dans les partis politiques, on procède aussi comme cela. La loi sur le voilea constitué un bon exemple du copromis impossible entre militants -notamment les plus jeunes- et direction. D'abord hostile aux manifestations qui ont précédé le vote de la loi sur le voile, l'UOIF a finalement appelé à manifester dans le calme. Une volonté évidente de ne pas se couper du terrain.
L'ancien directeur des RG Yves Bertrand assure : «L'UOIF a un discours assez ambigu. Il consiste à dire que, pour résoudre la question du port du voile, il suffit de créer des écoles confessionnelles réservées à la communauté. Ils ne demandent même pas -mais cela viendra- qu'elles soient placées sous contrat (…).
C'est en tout cas le discours qu'ils tiennent entre eux.» Obnubilé par le communautarisme, l'homme du renseignement exagère-t-il? Pas certain. L'ancien président de la commission de «réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République», Bernard Stasi, abonde dans son sens : «Devant nous, les islamistes ont eu un discours relativement modéré, soulignant même qu'il n'était pas certain que le voile soit une prescription religieuse. Je suis certain qu'ils tiennent un autre discours à l'extérieur.» Le ton formel et accusateur de leurs détracteurs fait sourire les dirigeants de l'UOIF. Le président, Lhaj Thami Breze, réfute toute dissimulation : «Il serait immoral de notre part de pratiquer un double discours. Les RG n'ont, d'ailleurs, rien à nous reprocher.» Pour Breze, la ligne de conduite est simple : «L'Islam doit s'adapter à la République et non l'inverse. Nous nous situons entre un Islam intransigeant et un courant négligeant.» Le dirigeant de l'UOIF peut être d'autant plus serein que la notion de double discours relevée par les RG semble aujourd'hui dépassée au sein de l'appareil d'État. Un proche de Nicolas Sarkozy confiait : «C'était une idée fixe d'Yves Bertrand. Aujourd'hui, tout cela est fini.» Le ministre de l'Intérieur n'a jamais caché le peu d'estime qu'il avait pour l'ancien patron des RG, qu'il trouvait «vieux jeu». Le directeur général de la police nationale Michel Gaudin a reçu à deux reprises les responsables de l'UOIF pour leur signifier la fin des hostilités. Un haut responsable confie : «Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas quelques individualités à surveiller. Mais nous avons décidé de ne plus les embêter.» La principale organisation islamique en France a trouvé sa place à la table de la République. Il serait malvenu que les RG disqualifient le travail des politiques!
1- «La présence fondamentaliste en France», DCRG, 23 décembre 2003.
2- «La communauté musulmane de France», DCRG, section minorités et étrangers, juin 1997.
3- Audition d'Yves Bertrand par la commission Debré, 9 juillet 2003.


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