Avec 6,6 millions d'auditeurs par jour, NRJ, la radio la plus écoutée par les jeunes en France, a gagné en puissance, au point de menacer aujourd'hui de grandes stations comme RTL ou Europe 1. L'histoire commence modestement, dans un petit appartement des Buttes-Chaumont, à Paris. C'est là que Jean-Paul Baudecroux diffuse les premiers sons de NRJ, le 15 juillet 1981. Dans l'effervescence qui suit la libéralisation de la bande FM par la gauche, alors fraîchement arrivée au pouvoir, on se bouscule sur les ondes. Entre utopie et amateurisme, ils sont nombreux à vouloir réinventer la radio. Le jeune Baudecroux, ambitieux et visionnaire, flaire, lui, une belle opportunité commerciale. Il a 25 ans et a travaillé au marketing de Revlon aux Etats-Unis. Dans le milieu des radios libres parisiennes, on attribue à cet homme coiffé d'une mèche brune, qui concourt à son air malin, le surnom de «Picsou», pour qualifier son sens des affaires et son souci manifeste des économies. «La console était sur l'évier de la cuisine, l'émetteur était dans la baignoire sabot», se rappelle le fondateur, aujourd'hui propriétaire principal du groupe NRJ, coté en Bourse. Les choses ont bien changé, puisque le champagne a coulé à flots lorsque, mi-novembre, les résultats de la dernière enquête d'audience sont devenus officiels. Désormais, la première radio française en nombre d'auditeurs, avec près de 6,6 millions par jour, c'est elle : NRJ. Sa direction en a même fait une chanson qui passe à l'antenne. Née comme tant d'autres en 1981, la «nouvelle radio pour les jeunes» a doublé tout le peloton des stations historiques : Europe 1 en 1995, France Inter, avalée en 1996, RTL, enfin, dépassée en 2002. NRJ s'est pendant longtemps développé grâce aux failles du système et à la volonté acharnée de son fondateur. Née à une époque frondeuse, NRJ est devenue la championne d'un modèle commercial nourri de marketing. Une trahison toute relative, selon M. Baudrecoux, qui assure que son succès est celui d'une station qui a «le même projet, le même concept et les mêmes dirigeants depuis vingt ans». En 1996, Jean-François Bizot, directeur et fondateur de la survivante Radio Nova et du défunt journal Actuel, signait un mini «Roman noir inspiré par l'histoire de la FM», dans lequel il raconte : «NRJ prit de l'avance sans se soucier de la loi. Les idéalistes, eux, perdirent leur culotte à attendre. (...) Avec le recul, on peut philosopher en contemplant la fortune accumulée par NRJ». En août 1981, M. Baudecroux s'engage à «ne pas faire de publicité, à ne pas constituer de réseau, à demeurer en association en but non lucratif» , autrement dit à respecter les dispositions réglementaires. Il fera pourtant exactement le contraire avec un temps d'avance par rapport à la loi qui, à chaque fois, est venue entériner une situation de fait. L'été 1981, RFM commence à émerger. Parce que la station émet avec une puissance excessive et qu'elle diffuse ouvertement de la publicité, son antenne est brouillée pendant plus d'un an. NRJ, qui ne tardera pourtant pas à appliquer les mêmes méthodes, en profite pour se placer en tête des radios musicales. En 1984, autre exemple, M. Baudecroux n'attend pas la loi du 1er août qui autorise à en diffuser sur la bande FM, pour multiplier les partenariats et la promotion à l'antenne. Quand la Haute autorité – l'ancêtre du CSA – voulut le «morigéner», affirme M. Bizot, notamment sur la puissance de ses émetteurs (80 fois supérieure à celle autorisée), Jean-Paul Baudecroux «retourna contre l'Elysée les méthodes publicitaires de l'Elysée»: il fit plancher une agence sur une «manif party» annoncée à force de jingles. Quelque 100.000 jeunes avaient alors défilé pour sauver «la plus belle des radios» d'une suspension d'un mois, au nom de la «liberté» et de la «musique». A nouveau, l'audience de NRJ en sortit renforcée. C'est l'autre artisan de cette success-story, Max Guazzini, qui a eu l'idée de cette manifestation. L'actuel président du directoire de NRJ est l'homme des réseaux. Avocat passionné de musique et de rugby, entré au conseil d'administration de la radio alors qu'il est militant socialiste, il use de ses relations dans la politique pour protéger NRJ. Même si le succès du groupe est d'abord celui du marketing.