Le 17 janvier, le GPBM a notifié à la CNSS la décision des banques de ne plus exécuter les ATD ATD. Cet acronyme de trois lettres est souvent synonyme de cauchemars pour de nombreux chefs d'entreprises. C'est que A.T.D, pour Avis à Tiers Détenteur, est une arme redoutable utilisée depuis quelques années par des administrations publiques pour recouvrer par la force des créances publiques. C'est que la loi 15-97 sur le recouvrement des créances publiques donne, en effet, le droit à des administrations comme la Direction générale des impôts (DGI) et la Trésorerie générale du Royaume (TGR), face à des contribuables récalcitrants, de recouvrer leurs impayés auprès de tiers qui seraient détenteurs de fonds appartenant à ces contribuables. Parmi ces tiers, figurent évidemment les établissements bancaires. Il se trouve qu'en plus de ces administrations, un autre organisme, en l'occurrence la CNSS, a lui aussi usé de cette procédure à l'encontre des entreprises qui refusaient de payer les cotisations de la sécurité sociale. Mais en septembre 2017, un événement est venu remettre de nouveau le dossier sur la table avec très probablement une grosse polémique en vue. La Cour de cassation a, en effet, rendu un verdict en septembre 2017 où les juges déclaraient comme étant illégale la procédure d'ATD exécutée par la CNSS à l'encontre d'une entreprise qui avait décidé d'intenter un procès à la Caisse. Comme il fallait s'y attendre, le verdict de la Cour de cassation était du pain bénit pour le secteur privé et particulièrement les entreprises accusant des arriérés et des impayés de cotisations sociales. Et le séisme finit par atteindre les banques priées par les entreprises clientes de lever les saisies sur les comptes gelés à cause des ATD. Devant cet imbroglio, le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) dut se résigner face à cette nouvelle jurisprudence et la décision n'a pas tardé à tomber. Dans une correspondance officielle datée du 17 janvier, le GPBM a notifié à la CNSS «la décision unanime des banques de donner plein effet à la jurisprudence de la Cour de Cassation pour ne plus accepter les ATD émanant de la Caisse», invoquant un « défaut de légalité ». Mais la polémique ne fait que commencer parce que, de l'autre côté, la CNSS, elle, ne semble pas lâcher prise. Même si la direction générale, qu'Aujourd'hui Le Maroc a pu joindre, n'a pas voulu s'exprimer sur la suite qu'elle allait donner à cette correspondance, des sources bien informées à la Caisse indiquent que les équipes juridiques se sont déjà penchées sur la question et ont préparé leur ligne de défense. Selon les arguments de la CNSS, «le verdict rendu par la Cour de cassation ne peut pas encore être considéré comme une jurisprudence et être invoqué par les chefs d'entreprises, les juges ou par les banques». A la CNSS, on explique qu'il faut attendre d'autres verdicts similaires pour que cette invalidité soit vraiment considérée comme jurisprudence. C'est le principe de la constance. En d'autres termes, la CNSS ne se considère pas comme tenue par le verdict de la Cour de cassation du 14 septembre tant qu'il est encore unique en son genre. L'autre argument avancé par les juristes de la CNSS concerne la validité de la décision qui lui a été notifiée par le GPBM. Ce dernier, aux yeux de la Caisse, ne constitue pas une autorité mais seulement un groupement professionnel qui ne peut en aucun cas s'immiscer dans les relations contractuelles entre la CNSS et chaque banque à titre individuel. «La correspondance du GPBM ne nous oblige en rien juridiquement car la CNSS entretient des relations avec les banques de manière individuelle en vertu de conventions et de contrats et le GPBM n'a rien à voir là-dedans», explique une source à la Caisse. Mieux que ça, si les banques veulent effectivement prendre acte de cette jurisprudence et ne plus exécuter les ATD, elles doivent le notifier à la CNSS de manière individuelle. Or, selon les mêmes sources, la CNSS à ce jour n'a reçu de notification dans ce sens de la part d'aucune des banques avec lesquelles elle entretient des relations. Au-delà de ces arguments d'ordre procédural, la CNSS estime, sur le fond, et contrairement au jugement de la Cour de cassation, qu'elle est bien habilitée à utiliser la procédure des ATD et ce pour deux raisons au moins. La première est qu'elle gère des fonds de retraites et de sécurité sociale dont la sensibilité lui impose de les protéger et de les gérer de manière rigoureuse, ce qui passe inévitablement et s'il le faut par le recouvrement forcé des charges auprès des adhérents dans l'intérêt général. La deuxième raison avancée par la CNSS pour sa défense est relative à la charte de recouvrement des créances publiques par voie d'ATD signée en avril 2014. Cette charte avait été signée à la suite d'un débat public houleux qui opposait le secteur privé au gouvernement depuis 2012 au sujet des ATD. Au terme d'un bras de fer qui a duré deux ans, les parties finirent par trouver un terrain d'entente sur l'assouplissement de la procédure. Le 17 avril 2014 une charte fut signée dans ce sens par la CGEM et le GPBM d'une part et de l'autre par le ministère des finances et les administrations concernées. Or parmi les signataires, en plus de la DGI, la TGR et la douane, figurait bien la CNSS. Cela signifie donc que l'Etat lui reconnaît explicitement le droit de recourir aux ATD au même titre que les autres. Mais les magistrats de la Cour de cassation ne sont pas du même avis. Maintenant, il faut attendre les jours qui viennent pour y voir plus clair. Mais beaucoup de questions restent posées. Le GPBM a notifié, certes, la décision collégiale des banques, mais la CNSS ne s'estime pas tenue par ladite décision. Les banques iront-elles jusqu'à notifier, chacune individuellement, à la CNSS le refus d'exécuter ses ATD ? Entre-temps, si la CNSS continue d'envoyer des ATD, les banques sont-elles tenues ou non de les exécuter ? Dossier chaud à suivre...