Les boissons alcoolisées sont interdites à la vente pendant trois jours après le Ramadan. Une période suffisante pour une prospérité inégalée des «guerrabas», les vendeurs informels. Si pendant le Ramadan un certain nombre de phénomènes marquent le quotidien de la société marocaine, les trois jours de l'après-Aid Al Fitr sont carrément sacralisés par les consommateurs de boissons alcoolisées. Comme tout le monde le sait, la fermeture des bars et des points de vente de ce genre de boisson se poursuit soixante-douze heures après la fin du Ramadan. Même les grands espaces réservés en principe aux différentes sortes de liqueurs dans les super-marchés sont vides. Trois journées qui suffisent à un certain commerce de prospérer à merveille. La vente secrète des boisons alcoolisées dont les promoteurs sont connus sous le nom des guerrabas. Un guerrab dispose d'un stock énorme de liqueurs que ce soit chez lui, dans un dépôt, ou dans un endroit secret dont il se sert à l'occasion. Dès la veille d'Al Aid, les commandes commencent à affluer massivement malgré une augmentation exorbitante des prix. Le prix d'une bouteille de vin rouge qui coûte en principe entre 25 et 30 dirhams, atteint 50 à 60 dirhams, soit le double du prix ordinaire, comme pour la bière qui passe de 5à 6 dirhams à 10 ou 12. Les guerrabas sont implantés dans les quartiers populaires et périphériques de Casablanca et leur commerce est d'une intense activité après les fêtes religieuses quand les boissons alcoolisées sont formellement interdites. Sûr de son pouvoir sur les consommateurs, le guerrab impose la marque, la quantité et le prix. Plus question pour l'acheteur de désigner sa boisson préférée. Il n'y a plus qu'un seul choix : s'approvisionner ou rentrer bredouille. Et connaissant l'âme humaine et l'effet insurmontable des interdits, le guerrab en bon commerçant ne discute pas. Il encaisse l'argent et livre la marchandise. Il arrive parfois que lors des campagnes menées à cette occasion, les services de police interviennent et arrêtent le guerrab, qui sera condamné et emprisonné. Ce qui n'empêche pas l'activité de continuer, car toute la famille est impliquée dans cette source inestimable de revenus et dont la durée est limitée. C'est le cas par exemple du guerrab de Douar Sekouila, arrêté en flagrant délit et conduit en compagnie de sa marchandise saisie sur le champ en prison. Quelques heures après les affaires reprennent. Sa femme et ses enfants reçoivent un nouvel approvisionnement et continuent l'activité au grand bonheur des clients d'ailleurs et surtout des chômeurs du quartier qui subsistent en aidant la famille du guerrab. La procédure d'achat ne se déroule pas comme à l'accoutumée. Ce sont les enfants et les chômeurs qui incarnent le rôle d'intermédiaire entre le vendeur et les clients. Seuls les clients de longue date et les acheteurs familiers ont droit à traiter directement avec le guerrab. Pour les autres, dès qu'ils se pointent au bout de la rue, ils sont abordés par un garçon ou un jeune homme qui leur proposent verbalement les prix de la marchandise disponible. Le client n'a plus qu'à verser le montant adéquat et attendre dans un coin que l'intermédiaire lui apporte ses «courses». Cette situation ne passe pas inaperçue car tout le quartier est dérangé par le va et vient des acheteurs. Les autres habitants craignent pour leurs enfants qui frôlent la tentation de se faire quelques dizaines de dirhams à cette occasion. Parfois il arrive que l'engouement des consommateurs dégénère en bagarre et sème la panique dans les parages. Il y a peut-être lieu de dire qu'heureusement les fêtes religieuses ne sont pas si nombreuses au cours d'une année.