Pendant le mois de ramadan, des artistes convieront un invité de marque à rompre le jeûne avec eux. Il peut être un ami, une star inaccessible ou un illustre personnage mort depuis des siècles. Le peintre Fouad Bellamine ouvre le bal pour nous parler de son ami Alain Macaire. Il me manque. Il était un repère. Je n'ai même pas besoin de réfléchir longtemps pour savoir que c'est mon ami Alain Macaire que je souhaiterais inviter à ma table. Sa présence me dopait. Nous avions des conversations interminables sur l'art, sur tout et rien. Nous parlions la même langue. Nous nous comprenions à mi-mot. Il y avait même entre-nous nombre de choses qui allaient sans dire. Je parle d'Alain Macaire au passé, parce qu'il est mort en décembre 1996, suite à un cancer de poumon. Mort ! Quand on nous a présenté un sceau avec de la cendre et que nous nous sommes prosternés devant ce qui restait de mon ami, j'ai eu du mal à réaliser que c'était ça Alain Macaire. Enfin, c'était ce qui en restait après son incinération. Et après l'éparpillement sur une pelouse verte de la poudre qui restait de son incinération, il ne subsistait plus rien. Enfin, c'est un autre sujet, et un jour il faudrait que ceux qui demandent à être incinérés pensent au désarroi des personnes qui viennent les saluer une dernière fois et qui ne les retrouvent pas. Alain Macaire était un journaliste d'art. Il dirigeait la revue “Canal” qui avait consacré en 1978 un numéro spécial au Maroc. Jusqu'à ce jour, ce numéro est cité comme un exemple d'une curiosité saine, sans condescendance pour les formes d'art émergentes dans un pays dit sous-développé. L'art a été d'abord le terrain d'échange de nos conversations. Ensuite, nous avons découvert que nous étions tous les deux nés à Fès, et que nous avions pratiquement le même âge. Alain Macaire aimait le Maroc et les Marocains. Il s'est battu pour faire connaître de nombreux artistes d'ici. Quand je me rendais à Paris, j'étais sûr de le revoir avant tous. Il m'attendait en bas de l'escalator de l'aéroport. Quelle accolade ! Puis, nous rattrapions vite le temps perdu. Alain me mettait au courant de toutes les nouveautés. C'est comme si je n'avais jamais quitté Paris. Avec Alain, j'étais en parfaite communion de vues, de vie et de travail. Alain Macaire était «mon ami, mon frère », comme le chante Serge Lama. Depuis qu'il n'est plus là, je ressens le besoin de dialoguer. Depuis qu'il n'est plus là, l'impulsion qui me portait au travail – cet aiguillon tonique – s'est bien émoussée. J'ai très envie qu'il soit à ma table pour éterniser, comme avant, nos conversations. Je suis curieux de savoir ce que pense Alain du simulacre de la peinture qui prévaut actuellement. Lui qui était tellement amoureux de l'acte de peindre. Alain aimait répéter la phrase de Malraux : « le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Avec les sujets qui dominent dans le monde aujourd'hui, les hommes du 21e siècle sont très mal partis pour faire prévaloir les valeurs de la spiritualité. J'ai envie de dire à Alain : réveille-toi pour voir ce siècle dans lequel tu croyais tant ! Réveille-toi pour constater la faillite de la spiritualité ! Réveille-toi pour que l'on remplisse les cendriers avec les mégots de nos cigarettes. Alain avait le sens d'un gai désespoir. Il était quelque part fataliste. Il ne s'est jamais détaché de la cigarette, en dépit des recommandations des médecins. La cigarette a fini par le tuer. Le curieux, c'est que je lui ressemble même dans son acharnement à fumer. Je reste sourd aux mises en gardes des médecins, et enchaîne cigarette sur l'autre.