Kamal Belhaj Soulami part en grève. Opposé au nouveau projet de loi devant réglementer le secteur, le président de la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens au Maroc appelle à la fermeture des pharmacies le 29 décembre et le 7 janvier. Entretien. ALM : Que reprochez-vous exactement au projet de code de médicament et de la pharmacie? Kamal Belhaj Soulami : Ce texte a été élaboré sans concertation. Beaucoup de dispositions, une quarantaine environ, ne correspondent pas à nos attentes. Comme j'ai eu à le dire au ministre de la Santé, les textes sont en général rédigés de bonne foi, mais les réalités ne sont pas perçues de la même façon entre une personne qui se trouve sur le terrain et les législateurs. On ne peut pas, comme le veut ce projet de loi, suivre les pays européens, et, par exemple, retirer le lait infantile des pharmacies pour le vendre dans les supermarchés. Nous ne sommes pas sur le même niveau avec ces pays. Il s'agit d'un produit assez sensible, avec des notices et des dates de péremption qu'il faut souvent expliquer. Bref, nous pensons que la maman marocaine doit encore venir nous voir, se faire expliquer, assister. Chose qu'elle ne peut obtenir dans les pharmacies. Vous retirez le lait, c'est aussi, quelque part, ponctionner vos recettes ? Ce n'est pas un problème de gain. Il s'agit d'abord de santé publique. Le pharmacien a une marge brute de 15% sur le lait, soit 4 dirhams bruts par boîte. Le lait infantile est un produit sensible et qui doit encore rester dans les rayons de pharmacie. L'Europe a atteint un certain niveau de développement où elle peut placer ce produit dans les circuits de vente ordinaire. Ce n'est pas encore le cas pour le Maroc. D'autres dispositions sont aussi à revoir dans cette loi. Installer des pharmacies dans les cliniques revient à décréter l'arrêt de mort des officines, surtout celles qui se trouvent dans les périphéries. Je vous rappelle que le secteur est déjà en difficulté. Sur les 7 500 officines marocaines (21 000 employés), environ 2 500 sont en situation de faillite ou de quasi-faillite. On dit pourtant que votre fédération a participé à l'élaboration de ce texte ? En effet. On dit que l'Ordre des pharmaciens ainsi que notre Fédération a participé à l'élaboration du texte. En réalité, notre participation s'est limitée à une réunion de deux heures, suivie d'une autre d'une heure. C'était pour protester puisque, dans les deux cas, le texte était déjà finalisé. Le ministre de la Santé nous a toujours témoigné de sa disponibilité. D'ailleurs, nous allons lui remettre nos doléances écrites qu'il a promis de transmettre à la Primature. Remarquez que le texte, malgré le fait d'être contesté, est déjà passé en Conseil des ministres, il se trouve actuellement au niveau du Parlement. D'un autre côté, les difficultés que vit le secteur ne résultent-elles pas d'un retard dans la mise à niveau? N'avez-vous pas raté la transition ? Il n'y pas de transition spéciale. Nous sommes fabricants et distributeurs. Ce qu'il y a plutôt, ce sont des textes anciens qu'il faut revoir. Malheureusement avec ce projet en cours, on se retrouve au même niveau qu'en 1960. S'il y a urgence, c'est plutôt au niveau de l'industrie pharmaceutique avec les nécessités d'ouverture du capital. Etes-vous opposé aussi à la réforme fiscale en cours, le retour à la comptabilité générale? Il y a une réalité importante à comprendre à ce niveau. Le pharmacien paye ses impôts sur les achats et non sur les ventes. Donc, il n'est pas soumis au régime du forfait. Nous sommes, d'ailleurs, le deuxième meilleur contribuable juste après les fonctionnaires. L'inspection générale des Finances peut en témoigner. Autre chose, de par notre métier, nous avons à la fois une fonction commerciale et une fonction de mission publique. Il y a le côté santé publique et le côté commercial qu'il faut constamment réunir. De par cette spécificité, nous achetons tout type de médicaments, ceux qui s'écoulent vite et ceux qui restent longtemps dans les rayons, obligés que nous sommes à fournir aux citoyens tout ce dont ils ont besoin. Environ 6% de nos produits tombent en péremption. L'Etat nous accordait un abattement correspondant, comme du reste, c'est le cas pour les stations d'essence qui ont un pourcentage correspondant à la quantité d'essence évaporée. Je pense que si on n'a plus cet abattement, nous serons obligés à ne commercialiser que les produits qui se vendent vite. En difficultés déjà, les officines seront obligées pour survivre d'obéir à la réalité économique. Etes-vous favorable à la politique de chaînage ? Cette règle existe dans tous les pays de même niveau économique que le Maroc et dans les pays développés. On estime qu'il faut un certain nombre de populations pour qu'une officine puisse exister. Mais nous pensons que le chaînage rapporté à un certain nombre de populations, doit aussi tenir en compte la réalité du pouvoir d'achat qui n'est pas le même, suivant les localités et les milieux urbains ou ruraux. Y-a-t-il moyen d'éviter d'aller jusqu'à la grève ? Le Conseil fédéral demande un écrit officiel de la Primature. Nous sommes pressés par la base. Après le 29 décembre , il y aura une réunion d'évaluation. La grève prévue le 7 janvier pourrait être revue, prolongée. La balle est dans le camp du gouvernement. Nous voulons un interlocuteur.