Six ans après l'adoption de la loi sur la passation des marchés de l'État, la situation n'a guère changé. Les procédures d'octroi desdits marchés manquent toujours de transparence. Sommes-nous égaux devant les marchés publics ? La réponse, du moins de celle de certains entrepreneurs victimes de discrimination, est bien non ! La pratique de commissions, intéressements et autres pots-de-vin est, selon eux, pratique courante. Toutefois, rares sont ceux qui osent dénoncer publiquement de telles pratiques. Le corollaire est une exclusion, pure et simple, de marchés conséquents (un total de 50 milliards de Dhs par an). Par contre, force est de préciser que les malversations et les paiements illicites sont loin d'être un sport national. Les récents scandales de financements de partis politiques ont dévoilé des systèmes bien huilés en la matière. Les Nations unies ont essayé de se pencher sur l'interdiction des paiements illicites. Ce projet n'a d'ailleurs jamais vu le jour. Juridiquement, s'étant largement inspiré, dans la dynamique de l'Accord d'Association avec l'Union européenne, du modèle français de Code des marchés publics et, à travers ce dernier, des principes communs posés par les directives communautaires, le législateur marocain a élaboré une réglementation qui se veut adaptée au contexte local. Le Décret n° 2-98-482 du 30 décembre 1998 constitue le cadre général de la passation des marchés publics et fixe les conditions et les formes de passation des marchés de l'Etat ainsi que certaines dispositions relatives à leur contrôle et à leur gestion (B.O. n° 4654 du 07/01/1999). Théoriquement, la production du nouveau droit marocain des marchés publics a été présentée comme étant motivée par le souci d'une transparence dans la gestion et l'octroi des marchés. Reste à savoir si le nouveau droit marocain est un gage de transparence ? « Le terme-transparence n'apparaît qu'une seule fois dans le texte. À s'en tenir au texte, la signification juridique de la transparence se limite au choix du maître de l'ouvrage », explique Mimoun Charqi, docteur d'Etat en droit avant d'ajouter « Une telle interprétation serait consacrer une fiction juridique. Le juriste ne saurait s'accommoder d'une telle myopie juridique en limitant la question de la transparence, vocable aujourd'hui en vogue, au choix du maître de l'ouvrage ». En clair, selon le spécialiste, la réelle signification de la transparence va bien au-delà du respect de l'ensemble de conditions et formes requises pour la passation des marchés publics. Dans la pratique, les contrôles et les audits sont obligatoires pour les marchés dont les montants excèdent cinq millions de dirhams et doivent faire l'objet d'un rapport adressé au ministre concerné, à l'exception des marchés de l'Administration de la Défense nationale. « De quel type de contrôle s'agit-il ? Le contrôle a priori exercé jadis, par les contrôleurs financiers, est remplacé par un contrôle a posteriori sous prétexte que le contrôle est une entrave à la bonne gestion, à l'efficacité et la rapidité », fait remarquer Mimoun Charqi. Quid du contrôle d'opportunité ? Pour peu que l'entité publique dispose du budget approprié, personne ne viendrait lui demander des comptes sur l'opportunité du lancement de tel ou tel marché. Selon le docteur Charqi, le droit général marocain et les réalités et les pratiques ayant eu libre cours dans le passé, « et hélas présentes encore aujourd'hui », font que la question de la transparence dans les marchés publics demeure un simple discours sans ancrage réel. Les raisons techniques derrière peuvent être de deux natures. En premier, le maître d'ouvrage arrête librement son cahier de charges par rapport à ce que sont ses besoins et, par ailleurs, fixe également toute liberté, sans grande contrainte, ce que sont les critères et coefficients de sélection. «A partir de là, il peut être fait du bon vieux droit en général et du droit des marchés publics en particulier tout ce que l'on veut et octroyer, pour peu qu'il y ait un savoir-faire, le marché au soumissionnaire de son choix», renchérit Mimoun Charqi. En second, les organes et institutions de contrôle sont loin de faire leur travail et quand il est fait, ce dernier bien souvent n'aboutit pas toujours. Le cas le plus frappant de l'usage de la non-transparence dans les marchés publics reste le marché d'études. Bien souvent, pour ce type de marchés, il est fait appel à des cabinets ou bureaux d'études étrangers qui font faire le travail par les cadres mêmes de l'entité publique concernée. «Ces marchés doivent être nettement définis quant à leur objet, leur étendue et leur délai d'exécution pour permettre la mise en concurrence des prestataires», explique le spécialiste. En général, des gardes-fous sont à mettre en place. La réforme des marchés publics, au même titre que les privatisations, entre dans le cadre de la politique d'ouverture économique du Maroc. La législation existante est aux standards internationaux, mais son application ne l'est pas encore. L'ensemble de textes constitué est non codifié. Ils restent de ce fait difficiles d'accès.