Avec Driss Jettou, tout le monde sera écouté mais, à l'évidence, les arbitrages nécessaires seront également effectués et les décisions prises. C'est une question de responsabilité. Le patronat marocain a accueilli avec une satisfaction manifeste la nomination par SM le Roi de Driss Jettou comme Premier ministre. C'est un fait remarquable. En gros, si l'on doit considérer ce bon accueil comme un engagement solennel du patronat marocain à soutenir activement la politique du Premier ministre, c'est une excellente nouvelle. Les milieux d'affaires ont beaucoup d'estime pour Driss Jettou qu'ils considèrent, à juste titre, comme un des leurs. Ils pensent qu'il est naturellement sensible à leurs préoccupations, voire à leurs revendications. Ceci est indéniable. Et si ce facteur important peut signer le retour de la confiance des milieux d'affaires dans l'économie du pays et une reprise, massive et volontaire, de l'investissement national, cela, en dernière instance, pourra être considéré comme une sorte de réconciliation nationale entre le patronat et l'exécutif. Mais pour dépasser ce constat un peu angélique, il faut faire trois observations : 1 – Quelle que soit la proximité, et qui peut utilement servir, que peut avoir Driss Jettou avec le patronat marocain, il est avant et après tout un Premier ministre, nommé par le Souverain. Cela le charge d'une responsabilité nationale qui va au-delà des attentes précises ou particulières de telle ou telle fraction des forces vives économiques. À titre d'exemple, et pour donner un avant-goût des débats à venir, si une dévaluation du dirham peut objectivement servir la compétitivité du secteur textile national, sa répercussion sur d'autres secteurs importateurs ou endettés en devises peut être fatale. 2 – Le patronat marocain a toujours demandé des réformes structurelles d'envergure et a toujours plaidé pour une amélioration globale de l'environnement de l'entreprise. L'importance de cette revendication légitime générale qui occulte les divergences naturelles entre tel secteur spécifique et un autre ne peut se contenter de l'existence d'un homme providentiellement proche des patrons à la tête du gouvernement. Il faut que le souci de l'entreprise soit l'expression d'une politique nationale affirmée qui tienne compte à la fois d'une ambition collective et des multiples contraintes internes et externes qui grèvent notre économie. 3 – L'investissement ne se décrète pas, même si la confiance joue un rôle primordial dans le processus. On ne peut pas croire que le quasi-gel de l'investissement national est uniquement l'expression d'une animosité quelconque à l'égard d'un gouvernement comme, par exemple, celui d'Abderrahmane Youssoufi. Cela serait trop simple, voire puéril et dangereux. Le blocage a toujours des raisons objectives. Celui-ci ne peut être levé que si ces mêmes raisons objectives disparaissent. Si un investisseur, quel qu'il soit, imagine que l'arrivée de Driss Jettou signifie le retour d'un État protecteur qui va arrêter le démantèlement douanier, se lancer dans une politique sectorielle de subventions et re-favoriser le développement d'un capitalisme administratif prébendier fait de rentes de situation, d'autorisations rentables en tous genres, il se peut qu'il soit rapidement amené à réviser son jugement. Les engagements internationaux du Maroc sont connus et incontournables. Finalement, si la nomination de Driss Jettou à la Primature plaît tant aux milieux d'affaires, c'est que, probablement, ils considèrent que celle-ci va améliorer la capacité d'écoute du gouvernement sur les questions économiques. Sur ce point, ils ont parfaitement raison. Avec Driss Jettou, tout le monde sera écouté mais, à l'évidence, les arbitrages nécessaires seront également effectués et les décisions prises. C'est une question de responsabilité. Au lieu de se demander, prématurément et corporativement, ce que Driss Jettou peut faire pour tel ou tel secteur, il vaut mieux se demander ce que nous, collectivement, nous pourrons faire pour lui pour qu'il puisse relancer effectivement l'économie nationale. Si on le considère digne de confiance, la réponse est alors simple : il faut investir.