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Le Maroc face au dollar, au pétrole, à la Chine
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 30 - 11 - 2004

« Le dollar, c'est notre monnaie, c'est votre problème », prophétisait Richard Nixon. En abandonnant au milieu des années 70, la convertibilité du billet vert avec l'or, le président des Etats-Unis faisait entrer son pays, et le monde à sa suite, dans les turbulences monétaires des changes flexibles… pour le plus grand profit américain.
Aujourd'hui, comme peut-être pour les prochaines années dans une Amérique qui a reconduit l'Administration Bush, un dollar faible convient à l'hyper puissance, face notamment, à l'Union européenne et à sa monnaie unique.
Le dirham traditionnellement ancré aux monnaies du vieux continent, et donc à l'euro, n'échappera pas à cette tempête de la dévaluation de fait du dollar, dont il subit déjà en ricochet les effets. Et, ce n'est qu'une bien piètre consolation que de voir la facture pétrolière libellée en dollar limitée, en partie, par le choc monétaire. Sur un plan plus global, la dévaluation qui en découle, celle des monnaies de ses concurrents, - à savoir des pays émergents comme la Chine -, lesquelles sont fortement arrimées au dollar, interroge le Maroc sur ses choix de développement et surtout sur les ressources qu'il y attribue.
Les accords de libres-échanges dernièrement conclus avec les Etats-Unis poussent à une mobilisation accrue pour la conquête de nouvelles parts de marché en Amérique du Nord. Tout comme ceux en place avec l'Union européenne vers le vieux continent. Suivre cette voie implique pourtant de se confronter de plein fouet à la montée en puissance de nations, comme la Chine.
Ses gains de productivité et la politique monétaire de sa banque centrale rendront la conquête de chaque nouvelle part de marché à l'export, plus coûteuse en termes de marges, pour les entreprises marocaines. Face à ce pari risqué, d'autres possibilités existent, cependant.
Il ne faut pas se tromper. La double dynamique qui a porté d'une part l'euro au-delà de 1,3 dollar, entraînant les 100 dirhams à 11,72 dollars et d'autre part, le baril à plus de 50 dollars, n'est pas prête de se calmer.
Depuis la réélection de George W. Bush pour un second mandat tous les éléments qui y ont contribué ont été confortés. Pourquoi du jour au lendemain changer de politique monétaire et de politique internationale ? Aussi, et malgré les dénégations de son secrétaire d'Etat au Trésor, John Snow, le dollar déprécié par les déficits jumeaux (commercial et budgétaire) contre lesquels rien n'est entrepris – au contraire , continuera sa descente face aux monnaies de la zone euro. Quant au pétrole, les tensions au Moyen-Orient, la montée en puissance des économies asiatiques très consommatrices d'énergie, assurent pour longtemps un prix élevé qui pourrait faire regretter les 50 dollars le baril… Déjà les premiers effets se font sentir dans le pays. Malgré les promesses du ministre de l'Energie, la hausse du baril a fini par se répercuter sur les prix à la pompe, fin août dernier. De quoi, pour l'Etat, récupérer le prélèvement de quelque 250 millions de dirhams ! Il faudra pourtant continuer à retenir le prix du baril pour éviter de voir l'inflation s'emballer. Ce que le budget, pour 2005, a prévu en allouant à la Caisse de compensation une enveloppe de 4,29 milliards de dirhams, en 2005, contre 2,7 milliards en 2004.
Du côté du change, la récente dévaluation réalisée face à l'euro (1,10%), n'a pas permis de déclencher une réelle accélération de la demande européenne adressée au Maroc. Et cela ne risque pas de s'arranger, en 2005. Car c'est désormais un consensus des économistes: la croissance de la zone euro souffrira fortement l'année prochaine de la flambée du baril et du renforcement de sa monnaie. Une bien mauvaise nouvelle qui entraînerait, immanquablement, une stagnation, voire un recul, des exportations marocaines vers l'UE. Quant aux importations réalisées depuis l'Union, -55% de celles du total du pays -, leur caractère, pour le moins incompressible, a conduit les entreprises marocaines à rogner sur leurs marges et à ajuster leur coût de production. Voilà qui amplifie les contraintes de la hausse de l'autre élément du coût de la production, qu'est le pétrole, avec à la clef un probable recul de l'emploi industriel, une baisse de la consommation des ménages comme des investissements, et, au final peut-être, un point de croissance en moins pour le pays, en 2005. Mais ce n'est que la face visible d'un iceberg plus inquiétant. Car, la hausse du pétrole et un dollar faible, ne sont pas deux phénomènes transitoires. Ils risquent, sur le moyen terme, de rebattre les cartes des échanges commerciaux et des flux d'investissements internationaux.
Ainsi, selon deux études réalisées en France par la Caisse des dépôts et des consignations (CDC), il est à prévoir :
1/ L'accroissement des investissements en Chine et dans de nombreux pays émergents asiatiques, au détriment des pays de l'OCDE (délocalisations) et des pays émergeant non asiatiques.
2. La mise en place d'une sorte d'Union monétaire de fait entre la Chine et les Etats-Unis.
Or ces deux phénomènes anticipés par les marchés contribuent au renforcement non seulement de leur probable naissance, mais également de leur intensité. Ils entretiennent à leur tour la faiblesse du dollar et la hausse du pétrole.
Depuis quelques temps déjà, l'origine de la hausse générale des matières premières est connue par la forte croissance de la Chine devenue un véritable ogre industriel. L'or noir n'échappe pas à la règle. Croire que la Chine fera son malheur en rendant ses approvisionnements trop chers, et devra faire à un niveau plus faible, n'est pas le scénario le plus probable. Au contraire. Le gouvernement chinois est dopé à la croissance source de sa stabilité sociale et de sa « légitimité»… Aussi, selon P. Artus, un mécanisme du type « le prix du pétrole élevé réduit la profitabilité des entreprises, et les conduit à déplacer leur production (le capital) vers les pays où la profitabilité est plus forte grâce à des coûts salariaux très faibles (par exemple la Chine) », est en train de se mettre en place. Et, comme tous les pays «émergeants», la Chine a une production intense en énergie. Un bien produit dans ce pays consomme trois fois plus d'énergie que le même bien dans un pays de l'OCDE. On le voit, donc, la production chinoise n'est pas en passe de se contracter. Elle contribuera à maintenir la demande pétrolière sous tension…
Tant pis pour les pays «émergeants» qui ne recevront qu'une faible partie de ces investissements. Ils auront à subir à la fois la hausse du pétrole et une concurrence accrue de la part des produits chinois, libellés en dollars faibles. Car c'est l'autre partie du mécanisme. Le financement permanent, par les pays asiatiques, du déficit américain, a créé une sorte d'Union monétaire, « de fait », entre les Etats-Unis et la façade pacifique. Implicitement, le contrat est donc : « je finance ton déficit, tu achètes mes produits ». Pas de place donc sur le marché Nord américain pour la production des pays de la zone euro.
Les accords de libres-échanges, dernièrement signés entre le Maroc et les Etats-Unis, n'y changeront rien. Avec 2% des flux commerciaux à destination de cette zone, le manque à gagner pour le pays ne sera pas mortel. Mais la compétitivité des prix des Chinois se retrouvera également sur son marché traditionnel: l'Europe. Une autre paire de manches. Il est donc à craindre qu'à terme, la production marocaine, notamment textile, ne consomme pas la totalité des quotas alloués par l'UE. Pire, même sur son marché domestique, les producteurs marocains risquent de se retrouver avec des produits chinois plus compétitifs…
La question se résume donc à apprécier la quantité de ressource que le Maroc doit affecter à cette concurrence. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Concurrencer « l'ogre» chinois, dont les avantages comparatifs sur le textile, par exemple, sont immenses, ne conduit-il pas à une impasse, à un épuisement ? Aussi, le Maroc doit-il se concentrer sur son développement et ses avantages comparatifs. Il n'en est pas démuni. Le tourisme peut s'avérer être une formidable locomotive. Le gouvernement l'a bien compris en se fixant un objectif de 10 millions de visiteurs à l'horizon 2010. Encore faut-il s'en donner les moyens. Infrastructures de transport (routes, aéroports), hébergement, diversification de l'offre : développement du littoral balnéaire, des villes dans les terres, l'exploitation du désert touristique doivent être un complément à Marrakech (dont l'engorgement prochain est à prévoir), telles sont les accessibles orientations. Un tel plan ne peut pas mettre de coté, pour autant, la participation aux développements du « High-Tech » (la Haute Technologie) ou l'importante demande sociale en matière de logement. Un programme pluriannuel de construction mobilisant les ressources disponibles tant en terme de capital que de travail doit donc être rapidement mis en place.
Voilà qui permettrait au Maroc de ne pas s'enfermer dans les affres d'une concurrence internationale pour laquelle il n'est pas armé. Le financement existe : 130 milliards de dirhams dorment dans les caisses de la banque centrale. Un fabuleux levier, aujourd'hui thésaurisé, dont l'utilisation d'une bonne moitié sur des investissements à long terme, représentera notre prochaine étude, en cours.


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