Soutenus par la population et des bandes armées venues des pays voisins, les mutins retranchés à Bouaké et Korhogo continuent de paralyser la Côte d'Ivoire en proie à sa plus grave crise depuis 1999. Dimanche, trois jours après la tentative de putsch contre le président Gbagbo, les rebelles gardaient encore le contrôle de deux villes importantes situées dans le centre et le nord du pays : Bouaké, où réside une forte communauté musulmane, et Korhogo, bastion de l'opposition au pouvoir actuel. Dans la première, les mutins semblaient avoir reçu le soutien d'une grande partie de la population qui a défilé dans les rues ce dimanche malgré la menace imminente d'un assaut des forces armées loyalistes qui convergent depuis samedi vers le centre et le nord. A Korhogo, plus ou moins calme ce dimanche, les mutins ont affirmé aux habitants que le gouvernement avait fait appel à des soldats angolais pour «tuer les nordistes» et exhorté les jeunes à prendre les armes avec eux. Un responsable burkinabé de la sécurité a pour sa part affirmé que les rebelles avaient pris des petites localités dans l'extrême nord voisin du Burkina Faso, notamment Katiola, Ferkessedougou et Ouangolodougou, près de la frontière. Selon lui, ces prises ont été faites pour éviter que les forces gouvernementales n'utilisent pas les aérodromes locaux et y envoyent des renforts. Au bout de trois jours d'affrontements -qui ont fait environ 270 morts et quelque 300 blessées-, la situation semblait donc loin d'être rétablie ce dimanche. L'armée loyaliste a toutefois rapidement repris le contrôle d'Abidjan, tandis que la capitale administrative, Yamoussoukro, paraissait épargnée par l'agitation. Dans la capitale économique, les incendies et les exactions ont suivi le départ des mutins, et entraîné la fuite de nombreux habitants. Ce dimanche, le parti d'opposition, le Rassemblement des républicains (RDR), a aussi rapporté que la résidence de son leader Alassane Ouattara avait été incendiée après avoir été saccagée. Ouattara, Musulman originaire de Korhogo, est au centre de violences ethniques croissantes en Côte d'Ivoire depuis des années. Interdit de toute participation aux élections par la justice, qui le soupçonne d'être de nationalité burkinabée, il a trouvé refuge dès jeudi dans les murs de l'Ambassade de France. L'ex-puissance coloniale du pays, qui a près de 600 soldats stationnés en permanence à Abidjan, a d'ailleurs décidé de renforcer sa présence militaire officiellement pour protéger ses quelque 20.000 ressortissants. « Les forces militaires françaises présentes en Côte d'Ivoire suivent avec une grande attention les problèmes sécuritaires des ressortissants à Abidjan ainsi que sur l'ensemble du pays », précisait un communiqué dimanche, sans indiquer la quantité de ces renforts. Rentré de Rome vendredi soir, le président Laurent Gbagbo avait aussitôt promis de livrer une guerre totale aux mutins, accusés par le gouvernement d'avoir tenté de prendre le pouvoir. Un coup d'Etat qui aurait été fomenté par l'ex-chef de la junte déjà à l'origine du putsch de 1999, le général Robert Gueï, abattu jeudi. Ce dimanche, l'agitation faisait cependant craindre un embrasement du conflit dans toute la Côte d'Ivoire qui n'avait jamais subi un tel chaos depuis décembre 1999. Il semblait que des bandes armées provenant du Liberia voisin, lui-même en état de quasi-guerre civile depuis les années 1990, se soient ajoutées aux rebelles du nord. Le gouvernement ivoirien a aussi implicitement accusé le Burkina Faso de fournir des renforts aux mutins. Les soldats ont d'ailleurs incendié plusieurs maisons d'immigrés burkinabés expulsés sous la menace d'armes, ajoutant à la rebellion des airs de règlements de compte. La question de l'immigration, et surtout celle des Burkinabés, est primordiale dans les débats politiques en Côte d'Ivoire, divisée entre le nord musulman d'Ouattara et le sud et l'ouest à majorité chrétienne du président Gbagbo.