Le service des urgences constitue la vitrine de l'hôpital. Au Maroc, le fait que la médecine des urgences n'est pas une spécialité entrave l'amélioration de ces services, souligne le Pr Houcine Louardi, chef du service d'accueil des urgences au CHU Ibn Rochd et vice-doyen de la faculté de médecine de Casablanca. Entretien. ALM : Quel est l'état des urgences au Maroc ? Pr. Houcine Louardi : Quand on aborde les problèmes des urgences, aucun pays au monde, et je pèse mes mots, ne peut prétendre résoudre définitivement et totalement le problème des urgences. Tout au plus, chaque pays, chaque service, dont celui de Casablanca, peut et doit améliorer, mais il ne peut pas résoudre. Dans les urgences, il y a toujours des imprévus. Par exemple, un service, qui a l'habitude de recevoir 100 patients, se trouve un jour devant le double. Il y aura un déséquilibre. Donc, dans les urgences, on essaye d'améliorer. Et quand on parle de l'accueil, le même problème se pose. Tout est relatif. Il est bien évident que peut-être dans les services français, on accueille mieux que nous, et aux Etats-Unis, on accueille mieux que les Français. Et malgré tout ça, il n'y a jamais satisfaction. Vous êtes coordonnateur à l'échelle de Casablanca et membre de la Commission nationale des urgences et experts de l'OMS, comment peut-on remédier à ce problème au Maroc ? Au Maroc, je le dis franchement, on ne peut pas améliorer une spécialité qui n'existe pas, qui n'est pas reconnue. Au Maroc, la médecine des urgences n'est pas une spécialité. Comment voulez-vous améliorer et développer quelque chose qui n'existe pas. Par exemple, au Maroc, on a beaucoup améliorer la chirurgie, parce qu'il s'agit d'une spécialité. Il y a des efforts. Un chirurgien opère parce qu'il est rémunéré en tant que spécialiste. Chose qui n'est pas le cas pour les urgences. On peut prendre un généraliste à Ouarzazate et le former en spécialité d'urgence, mais il est toujours payé en tant que généraliste. Il n'est pas motivé. Qui est donc le responsable ? Il y a plusieurs intervenants dans le secteur. La spécialité passe par plusieurs étapes. Il y a le ministère de l'Enseignement supérieur, le secrétariat général du gouvernement, le Conseil de l'ordre des médecins et le ministère de la Santé publique. Tout un circuit pour mettre au point une spécialité. Et l'on demande d'améliorer. On ne peut pas améliorer quelque chose qui n'existe pas, on ne le dira jamais assez. Par exemple, un médecin qui vient pour la formation à Casablanca. À l'issue de cette formation, il nous explique qu'une fois au service dans son patelin, on peut le réveiller à trois heures du matin, on le dérange le dimanche, parce qu'on lui dit qu'il y a une urgence. Mais, il est rémunéré, en tant que généraliste. Le problème ne se pose pas uniquement au niveau pécuniaire, mais c'est démotivant. On ne peut pas demander à quelqu'un, et j'insiste la-dessus, d'exercer une spécialité qui n'existe pas. Alors qu'au Maroc, on a créé des spécialités qui ne sont pas prioritaires sur les urgences. Par exemple la chirurgie vasculaire périphérique. Dans un pays développé, le médecin généraliste refuserait de travailler dans le service des urgences. Il y a des normes à respecter. On l'appelle service dangereux. Il faut qu'il soit un spécialiste. En quoi consiste essentiellement la formation d'un spécialiste en «urgences» ? Beaucoup de gens disent que dans la médecine des urgences, le spécialiste n'apprend pas beaucoup de choses. C'est faux. Quand on met en exergue une spécialité, ce n'est pas uniquement les gestes techniques qui comptent. Quand on forme un généraliste en spécialité des urgences, on ne lui apprend pas uniquement comment traiter ceci ou cela, mais on lui apprend comment gérer d'abord le service des urgences. Comment accueillir les gens, il faut qu'il ait des infirmiers d'accueil et d'orientation. Chose qui fait défaut chez nous. Parce qu'il n'y a pas un médecin spécialiste. Le circuit administratif, pharmacie, etc. Le spécialiste apprend à gérer tout ça en cinq minutes et non pas deux heures comme c'est le cas actuellement. En plus de ce volet technique, quels sont les autres problèmes? En premier lieu, il y a l'inadéquation de l'offre aux besoins exprimés par la population. Et quand on dit offre, il faut entendre qualitative et quantitative. A Casablanca, les six hôpitaux préfectoraux et le centre hospitalier ont été construit pour un certain nombre d'habitants dans le temps. Maintenant, le secteur de la santé n'a pas accompagné la croissance démographique de la ville. Avec plus de cinq millions d'habitants, on a les mêmes hôpitaux. Ce que nous offrons est très insuffisant à ce que réclame la population. Chose qui est à l'origine de l'encombrement, du mécontentement et du mauvais accueil. Par exemple au service des urgences du centre hospitalier Ibn Rochd, on reçoit 520 patients par jour et pendant cet été, le nombre était de plus de 700. Les accueillir dans de bonnes conditions, « un petit moment pour chacun », on ne va pas terminer et l'on n'arrivera pas à les traiter. Les gens qui travaillent dans ce service sont constamment mis sous pression. Le deuxième point c'est l'absence de communication et de coordination entre les différents intervenants dans la prise en charge des urgences. Le ministère de l'Enseignement supérieur est producteur de médecins, le ministère de la Santé est consommateur des produits de la faculté, le ministère de l'Intérieur recrute également des médecins, protection civile, collectivités locales. Cette séctorialité pose problème. Chacun définit ses caractéristiques. Et on n'arrive pas à avoir une norme nationale. En plus du refus des évidences, dans certains accidents on arrive sur place pour compter les morts, et la politique de tout va bien complique la tâche..