Les attentats du vendredi 16 mai ont pour la première fois confronté le dispositif des urgences de Casablanca, voire même du pays, à une catastrophe nationale d'une ampleur exceptionnelle. Explications. Le vendredi 16 mai 2003, vers 21H30 min, quatorze kamikazes ont été à l'origine de fortes explosions, dans cinq sites différents à Casablanca. Le nombre élevé de victimes et les dégâts considérables sur l'ensemble des sites, ont mobilisé des moyens de secours extra et intra-hospitaliers importants. Si après deux heures, l'ensemble de la communauté nationale (Rabat en particulier) a contribué à la prise en charge de la situation, pendant une longue période, seuls les secours locaux de la protection civile et ceux des urgences des hôpitaux de Casablanca ont été présents sur place. Dans cette situation de catastrophe d'ampleur nationale et de caractère particulier (attentat), la phase initiale des secours a été assurée par des moyens limités. Cette phase devrait assurer les premiers secours aux victimes mais aussi se préparer à intégrer les renforts en initiant la mise en place d'un dispositif de secours à la mesure de l'ampleur de l'événement. Les attentats ont été à l'origine de plusieurs événements destructeurs : une onde de choc instantanée qui a dévasté les infrastructures, lieux des explosions, ainsi que celles de proximité. Elle a été responsable du lourd bilan humain. Les dégâts humains ont été très importants. Ils associent des lésions de blast primaire, secondaire et tertiaire. Quarante personnes sont tuées instantanément sur les lieux des attentats, une centaine d'autres sont plus ou moins gravement blessées. Sur les lieux des attentats, la scène est horrible : des blessés, des corps déchiquetés et des parties du corps «têtes, mains, pieds, etc…» sont disséminés, … la population commence à fuir de façon désordonnée les secteurs des explosions. Une onde sismique s'est propagée rapidement pour provoquer des phénomènes de panique sur l'ensemble de la ville. Enfin, une onde atmosphérique, responsable d'un bang sonore, entendu à des centaines de mètres, à l'origine de dégâts étendus sur l'ensemble de l'agglomération. Les ambulances de la protection civile commencent à acheminer les premières victimes au service d'accueil des urgences du CHU Ibn Rochd vers 22H15 min. Le plan de mise en alerte des services hospitaliers (plan MASH, encore appelé plan blanc) est déclenché. La cellule de crise est réunie au bureau du chef du service d'accueil des urgences du CHU (Pr N. Zerouali, Pr. M. Elandaloussi, Pr. A. Elkamar, Dr. O. Elmnezhi, Dr. F. Jettou, Pr. H. Louardi); elle sera rapidement rejoint par Monsieur le secrétaire général du ministère de la Santé. A la salle de déchocage du service d'accueil des urgences du CHU Ibn Rochd, tous les spécialistes sont à pied d'œuvre. Monsieur le ministre de la Modernisation des secteurs publics et chef du service de chirurgie viscérale d'urgence ont été le premier sur le terrain. Simultanément, vont se dérouler des actions coordonnées aboutissant à la mise en place d'une chaîne de secours. La culture «médecine de catastrophe» des intervenants des urgences de Casablanca va permettre à chacun d'entre nous, même isolé, d'y participer et de s'y intégrer. Les ambulanciers de la protection civile assurent le ramassage et le transport des victimes vers le service des urgences du CHU Ibn Rochd. Au niveau de ce dernier, le plan MASH est activé : zone de triage (urgences absolues, urgences relatives), zone de traitement lourd (salle de déchocage), zone de traitement léger, zone opératoire (quartier opératoire), zone d'accueil des familles et proches des victimes (cellule de soutien psychologique). Cette phase initiale des secours va durer environ 3 heures. Elle va permettre la prise en charge d'une soixantaine de blessés (dont 20 graves). De nombreuses victimes (30 environ) sont soignées sur place (points de suture et pansements,…) et sont rapidement évacuées vers les services d'hospitalisation (traumato-orthopédie, chirurgie viscérale, neurochirurgie, brûlés…). Cette initiative a permis d'éviter de surcharger la salle de déchocage et les unités de réanimation. Les patients présentant les lésions les plus graves seront progressivement orientés vers les structures médico-chirurgicales dont la disponibilité a été recensée par la cellule de crise. Très précocement une unité de la cellule d'urgence médico-psychologique est présente (une demi-heure après le drame). Elle a poursuivi son action aux urgences du CHU longtemps après l'évacuation des derniers blessés et est toujours un point de ralliement pour les amis et les proches des victimes. La phase préhospitalière des secours a été très active grâce à la compétence, l'abnégation et à la professionnalisation des éléments de la protection civile. Par ailleurs, les renforts vont continuer à investir la ville (une vingtaine d'ambulances de la protection civile, 5 ambulances du croissant rouge marocain, 3 ambulances du CHU, 20 ambulances des hôpitaux publics, 3 hélicoptères de la gendarmerie royale, tout le dispositif du service de santé militaire de Casablanca et de Rabat, secteur libéral, …) Le bilan médical est alors : 40 cadavres (décès sur les lieux). Un patient va décèder le lendemain (samedi 17 mai 2003) des suites de blessures graves : traumatisme crânien et thoracique graves, traumatisme abdominal, malgré deux interventions chirurgicales (crâne, abdomen). 6 malades opérés pour fractures ouvertes ayant nécessité la mise en place de matériel d'ostéosynthèse. 10 interventions chirurgicales ophtalmologiques pour lésions graves des globes oculaires. 2 interventions abdominales. 4 interventions pour délabrements graves des membres et pertes de substance. Le dispositif de prise en charge des urgences à Casablanca a été donc sollicité de façon intense pendant une longue période à la suite des attentats du «vendredi noir». L'intervention initiale, dès les premières minutes qui ont suivi l'explosion, a été maîtrisée par les moyens disponibles localement (grâce à l'intervention efficace des éléments de la protection civile). Au service d'accueil des urgences du CHU Ibn Rochd, l'afflux des blessés est massif et précoce. La désorganisation initiale va vite faire la place à une mobilisation de tous les secteurs de soins. Le réseau de médecine d'urgence a été utilisé pour organiser les secours. Cependant, cette modeste expérience positive de prise en charge médicale en situation d'exception doit faire oublier à l'ensemble des membres de l'équipe «le légitime orgueil» de cette première expérience : comment aurions-nous agi en présence d'un nombre élevé de victime ? En effet, le risque est de se croire tout puissant et de surestimer ses compétences et ses connaissances. Seule l'épreuve du temps et certaines erreurs commises corrigeront cette tendance au profit d'une plus grande modestie. • Par Pr. Houcine Louardi Chef du Service d'Accueil des Urgences CHU Ibn Rochd- Casablanca e-mail : [email protected]