Interview. Khalid Alioua est membre du bureau politique de l'USFP, directeur de l'Ittihad Al Ichtiraki, et tête de liste de son parti à Casa-Anfa. En politique avéré et averti, il se plie généreusement aux questions-réponses pour évoquer son parti, l'Istiqlal, l'alternance, l'islamisme radical... ALM : Est ce que vous estimez que les conséquences des scissions qu'a connues le sixième congrès de l'USFP auront un impact sur les résultats des élections ? Khalid Alioua : Je pense personnellement que l'impact sera celui voulu par les électeurs, qui au-delà de quelques clivages, donneront leurs voix à l'USFP. Ceci étant, le congrès a présenté de nombreuses avancées parmi lesquelles celle d'avoir cautionné définitivement l'option politique sur le plan démocratique et d'adhésion totale à la gestion des affaires publiques. Je crois aussi que l'histoire de l'USFP révèle que chaque fois qu'il y avait des grands choix à faire, il y a une décantation qui s'opère. Il existe des gens qui ne sont pas d'accord sur telle ou telle option qui décident de quitter le bateau socialiste. Mais en dernier ressort, ceux qui restent sont ceux que la population accepte, investit d'une mission et cautionne l' orientation. En définitive je ne pense pas personnellement que l'on puisse bâtir une analyse quantitative sur les résultats et les conséquences du sixième congrès. Nous souhaitons en tout cas que ces élections soient un moment de retrouvailles pour l'ensemble des forces politiques constitutives des potentialités de l'USFP. Mais je dirais que sur le plan qualitatif, ce qui nous intéresse le plus c'est d'essayer de renouer réellement aujourd'hui avec une orientation que nous nous étions définie au sixième congrès et que nous n'avons pas pu mener véritablement à terme. Cette orientation est axée sur la nécessité de créer ce fameux grand pôle de gauche. Le fait que l'investiture des candidats socialistes ait provoqué un tel branle-bas, n'est-il pas une conséquence directe du sixième congrès ? Je ne le crois pas. Le nouveau mode de scrutin a presque imposé aux partis politiques de faire des Primaires. Le fait qu'il existe une tête de liste engendre une compétition et cela n'est pas une spécificité de L'USFP, puisque tous les partis ont connu cette compétition. Donc je ne pense pas que ce soit une conséquence, c'est le mode de scrutin qui implique un fonctionnement différent. Ce n'est plus ni un choix strictement local, ni totalement une décision centralisée. Il y a une espèce de va et vient au niveau de ces deux centres de décision et cela est totalement nouveau par rapport au scrutin uninominal. Le bilan du gouvernement que l'USFP a dirigé en la personne du Premier ministre, Abderrahmane Youssoufi, avantage ou désavantage l'USFP dans les élections ? L'USFP peut réellement s'enorgueillir des réalisations qu'elle a accomplies durant ces quatre années. Je suis convaincu que la population sait mesurer la distance qui a été parcourue en termes de réformes entre le contexte de 1997 et la réalité de 2002. Pour ne pas remonter loin dans le temps je ne prends pour exemple que la loi sur l'audiovisuel. Il suffit de se rappeler les gros problèmes que nous avons rencontrés dans ce secteur vital et que nous avons traînés avec nous durant ce mandat. Le champ de l'audiovisuel subissait des formes d'influence qui n'ont rien à voir avec un état de droit et qui ont été gouvernées par le ministre de l'intérieur à cette époque en plus des voix parallèles qui donnaient des orientations. Aujourd'hui la libéralisation de l'audiovisuel constitue une révolution et constitue probablement l'indice le plus important de l'évolution de la transition démocratique de notre pays. Il m'est impossible de sérier toutes les réalisations de ce gouvernement, mais il suffit de rappeler ce travail considérable de renouvellement de l'arsenal juridique et de l'assurance maladie qui constitue elle aussi une révolution. Vous n'êtes pas seuls au gouvernement et certains de vos partenaires vous ont lâché en cours de route par un « soutien critique ». Comment appréhendez-vous la position de l'Istiqlal ? Il me semble que le secrétaire général de l'Istiqlal, M Abbas El Fassi, s'est mis dans une perspective qui n'est pas politiquement utile. Celle de considérer que l'expérience à laquelle nous avons participé tous ensemble est une expérience qui relève de la seule volonté de l'USFP.Comme tout le monde le sait , une alternance consensuelle suppose forcément l'existence de plusieurs volontés sans oublier bien sûr celle de la partie officielle. Mais quand on dit consensus, il concerne aussi la coalition dont les composantes savaient d'avance qu'elles allaient gouverner avec des marges de manœuvres limitées. Je crois que le parti de l'Istiqlal fait preuve de scotomisation en ne voyant qu'une partie de la réalité et en oubliant l'autre. Maintenant je conçois que nous soyons uniquement des alliés et ne constituons pas un seul parti. Donc nous sommes différents et l'Istiqlal a probablement une perception différente de sa mission et différente de nous, ce qui est son droit. Mais je pense qu'aujourd'hui l'Istiqlal qui a participé à l'expérience gouvernementale doit rendre compte de sa gestion autant que les autres composantes de la coalition. Car, les usages en politique veulent que quiconque n'est pas d'accord sur une politique, n'est jamais retenu de force. Il s'agit donc d'une alliance conjoncturelle et non stratégique. Autrement dit, l'esprit de la Koutla bat de l'aile ? Quiconque observe la réalité politique et en analyse les tenants et les aboutissants vous dira que la Koutla a déjà accompli sa mission et qu'elle relève d'une réalité qui n'est plus celle du Maroc de 2002. La Koutla s'est constituée, il y a dix ans dans un contexte qui était celui d'enclencher un processus de réformes constitutionnelles et institutionnelles. Elle a réussi cette mission puisque nous avons une constitution qui est celle de 1996 et qui n'a pas encore révélé toute sa potentialité. Peut-être qu'on a voulu lui donner un autre rôle en constituant un gouvernement pour qu'elle joue le rôle de la gestion publique mais elle n'a pas accompli cette mission. Dans ce cas il faut soit appliquer une autre formule, soit faire une véritable radioscopie et de toutes les manières redéfinir les bases de la Koutla. À propos de nouvelles bases, on a beaucoup parlé de pôle de gauche sans que cette ambition ne soit concrétisée ? Je considère que cette question est toujours à l'ordre du jour et j'estime qu'après ces élections, on aura un peu plus de sérénité parce qu'on aura derrière nous toute l'effervescence pour aborder ce sujet. On est aujourd'hui dans un moment de compétition, mais dès le 28 septembre, on sera dans une période de construction. Ce moment l'USFP le conçoit en compagnie des forces démocratiques et de progrès, avec les forces modérées. Ce faisant toutes les composantes de la gauche ont leur place dans l'édification. Je suis presque certain qu'au lendemain des élections, il y aura une dynamique très différente de ce que nous avons connu jusqu'à maintenant. Il y aura une plus grande clarification de la carte politique. Mais il est clair que dans ce pays il y a deux grandes tendances, celle traditionaliste et je dirai même une tendance rétrograde qui veut enfermer le Maroc dans un système autarcique. Cette tendance ne voit pas le Maroc dans sa dimension universelle et oublie que le Maroc a toujours eu une ouverture extérieure. Vous parlez de l'Istiqlal ou des mouvements islamistes ? Je ne voudrais pas donner des indications, mais il est clair que si vous analysez les discours des uns et des autres, il y a des formes de croisement. Mon parti en tout cas, prône plus d'ouverture du Maroc et un plus grand positionnement dans l'environnement régional, méditerranéen et international. C'est aujourd'hui un atout pour un pays comme le nôtre car on ne peut pas aujourd'hui concevoir d'améliorer notre sort si on raisonne uniquement par rapport à l'intérieur. On ne peut concevoir la dimension stratégique de notre pays sans s'inscrire dans cette dynamique d'universalité, nous ne pourrons aller loin. La deuxième tendance prône la perspective de l'universalité. Il faut donc définir où l'on se situe d'abord. Il n'est plus possible, à mon sens, à travers ce qui passe aujourd'hui dans notre pays d'avoir un pied ici et un pied ailleurs. On ne peut être dedans et en dehors de la modernité. Il faut prendre toutes les ressources qui ont fait notre immunité et qui font la cohésion de notre pays et de s'appuyer dessus pour consolider toutes les bases de la stabilité de notre pays. Cette stabilité a été menacée dernièrement par la violence de certains mouvements islamistes. Est ce que vous ne croyez pas que ceux qui s'allient avec l'islamisme radical pour une raison ou une autre sont en train de flirter avec le diable ? J'ai toujours dit que l'islamisme radical n'a pas de place dans un pays comme le nôtre parce que dans les pays démocratiques, les analystes considèrent que la violence et les moyens de la violence sont monopolisés par l'Etat. Personne n'a le droit de se faire justice soi-même et encore moins d'utiliser les moyens de violence pour imposer ses idées. Dans ce cas-là, on rentre dans la logique de la jungle pour que la loi de la force gouverne ce pays. Donc ce type de comportement n'a pas de place dans notre pays et ne peut aucunement susciter le moindre brin de compréhension, ni encore moins de sympathie. Autrement, les mouvements islamistes qui adhérent véritablement aux règles de la démocratie, des libertés individuelles et collectives, n'ont rien à se reprocher pourvu qu'ils soient transparents Quels sont à votre avis les grands enjeux de ces élections ? Il me semble qu'il faut améliorer principalement notre force de gouvernance. Parmi les domaines fondamentaux que doivent entamer les institutions issues de ces élections, celui de se donner un meilleur moyen de rendre la constitution plus opérationnelle. Cette redynamisation reste la seule issue pour remettre sur les rails l'administration et la justice qui constituent les piliers de la démocratie. • Propos recueillis par Hassan Benadad et Noureddine Jouhari