Le Festival International de Théâtre Universitaire de Casablanca (FITUC) bat son plein. Mardi soir, au Complexe Moulay Rachid, les spectateurs ont assisté à une pièce jouée par une troupe de Marrakech. Un spectacle aux moyens scéniques limités, mais porteur de bonnes possibilités. On assiste toujours avec appréhension à une pièce de théâtre mise en scène et jouée par des personnes dont on n'a jamais entendu parler. Personne ne nous a conseillé d'aller la voir. On va à l'aventure avec l'espoir d'une découverte, mais aussi le souvenir de représentations décevantes. L'aventure avec «Blabla dans un cimetière» commence avant le lever du rideau. Le spectateur découvre dans la salle trois petits tombeaux en bois. Il en éprouve un malaise. La convention du théâtre fondée sur la segmentation de deux espace distincts, l'un réservé aux comédiens et l'autre au public, peut être rompue. Mais lorsque sa rupture installe les assistants dans un cimetière, elle interpelle d'une façon forte leur attention. Ils ne sont plus confortablement assis, mais placés dans un décor macabre. Personne n'aimerait être assis dans un cimetière pour assister à un spectacle. Cette façon de sortir le spectateur de son inertie habituelle est un bon point pour la troupe du Laboratoire Amal de Théâtre, composée d'étudiants de la Faculté de droit de Marrakech. Pour le reste, ce que l'on craignait a été inévitable. Le lever du rideau a révélé un décor indigent. Une toile où sont dessinées les briques d'un mur, quatre tombeaux en bois et de petites lanternes. C'est tout ! L'éclairage, uniforme, inexistant ! La scène de la salle du Complexe Culturel Moulay Rachid est pourtant équipée de projecteurs. M'Barek Elfakir, le metteur en scène de «Blabla au cimetière», aurait gagné à les exploiter. Il aurait pu solliciter le concours des techniciens de cette salle. Faire du théâtre, c'est aussi savoir tirer profit des bonnes occasions qui se présentent… «Blabla au cimetière» met en scène des exclus de la société dans un cimetière. Un pied-bot intellectuel, un ancien fonctionnaire bossu, un ancien de l'Indochine borgne, un fou, un fossoyeur, une soldate et des cadavres qui quittent leurs tombeaux pour une danse macabre. La dramaturgie d'Abbas Fourrak a réservé une grande place à l'absurde et au fantastique. Les hôtes du cimetière vivent des repas préparés lors des funérailles des morts. Ils sont ravalés au rang de charognards. Ils échangent des propos sur ceux qui vivent en dehors de l'enceinte du cimetière. Ils se livrent à des considérations sur la vie, la mort. C'est le piège à éviter dans le théâtre. Ne pas verser dans la philosophie facile, en se disant que l'on tient le lieu et la formule. Les faiseurs de phrases d'auteurs font du tort au théâtre, surtout lorsqu'ils ne possèdent pas l'art pour le faire. La simplicité d'une conversation à bâtons rompus, qui colle à la banalité du quotidien, est plus convaincante sur scène que des considérations philosophiques. La teneur des propos des comédiens est d'autant moins substantielle qu'ils s'expriment en arabe classique. On ne comprend pas pourquoi nombre de nos dramaturges persistent à écrire dans une langue qui déréalise complètement la teneur de leur propos. Cet arabe-là pousse les comédiens à jouer d'une façon trop affectée une langue qui n'est pas la leur. Cela dit, «Balabla au cimetière» dispense de bons moments. Les spectateurs qui ont honorablement rempli la grande salle du Complexe Moulay Rachid en sont sortis ravis. La scène de la danse macabre est du point de vue chorégraphique exquise. Les comédiens mettent du cœur à l'ouvrage. Jamal Eddine Kennou, qui a interprété le rôle de l'intellectuel, a de la présence sur scène. Il a aussi un grand avenir devant lui. D'ailleurs, c'est toute la pièce qui est porteuse de bonnes possibilités. Avec «Blabla au cimetière», le théâtre universitaire prouve, en dépit de ses moyens très limités, qu'il ouvre des voies inédites. Il a raison de ne pas emprunter les sentiers battus de certains professionnels.