Les trente mille candidats au travail dans les bateaux de croisière ne se font plus de doute sur cette grande supercherie et comptent appliquer dans ce cas de figure le dicton marocain qui eu « suivre le voleur jusqu'au devant de chez lui » Sous un soleil de plomb, des centaines de jeunes se sont attroupés, jeudi matin, devant le bureau régional de l'Agence nationale pour la promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC) sis rue Draa, non loin de l'avenue Hassan II à Casablanca. Ce sont les acteurs malheureux d'un feuilleton qui n'a que trop duré et qui porte un titre trop beau pour être vrai :«trente mille Marocains sur des bateaux de croisière». Comme de nombreux candidats, Hamid a cru que la chance lui a enfin souri. Originaire d'Errachidia, ce jeune de trente deux ans a connu les affres du chômage durant six années, et il serait difficile de le convaincre qu'il est la énième victime d'une société passée maître dans l'arnaque internationale et qui n'est autre qu'«Al Najat Marine Shipping». La semaine écoulée, Hamid l'a passée devant le bureau de l'ANAPEC. Un de ses nombreux nouveaux amis qui squattent à longueur de journée la rue Draa venait de lui filer un bon tuyau : «la liste des candidats convoqués au second test médical sera affichée incessamment.» Pour être fixé sur son sort, Hamid prend ses jambes à son cou et se présente le lundi matin de bonne heure à l'Agence : RAS (rien à signaler). Son nom ne figure pas sur la fameuse liste. La feuille en format A4 accrochée, en toute «innocence», la veille de deux jours fériés, portant les noms d'une dizaine de candidats a été retirée en catastrophe de la réception pour éviter que les esprits ne s'échauffent devant cette plaisanterie de mauvais goût : « je ne comprends pas ces gens et leur manière de travailler. Comment ont-ils sélectionné des dossiers portant des numéros de série récents, alors que j'ai été parmi les premiers à remplir l'ensemble des formalités », s'indigne Hamid. Appliquant le degré zéro de communication, les responsables à l'ANAPEC refuseront de recevoir Hamid et bien d'autres qui voulaient juste une explication convaincante. Les quelques personnes convoquées pour ce nouveau test médical ne sont pas non plus rassurées sur le sort de leur candidature. Elles ont accepté de se faire tripatouiller par les biologistes de la clinique Dar Salam, encore elle, au cas où ils auraient l'une des trois formes de l'hépatite A ou B ou C. Leur crainte est justifiée par les rumeurs qui circulent à propos du prochain épisode du feuilleton d'Al Najat-ANAPEC. A trente ou à quarante ans, on perd le goût de revêr. Certains candidats sont déboutés par ces histoires de stage de pré-embauche qui frôlent l'absurde. Selon les informations que nous avons pu recueillir sur place de la bouche de plusieurs candidats, «on» leur raconte qu'ils seraient transportés par groupe (et par avion svp)en Grande Bretagne pour y suivre un stage de quinze jours. A la fin du stage, les candidats retenus seraient affectés à leur poste, et les recalés rebrousseront chemin. Une histoire à dormir debout. La Grande Bretagne, un des pays hermétique en matière d'immigration, n'est pas aussi dupe qu'on le croit. En attendant, Hamid, ses amis et les autres cogitent dans la tourmente de ceux qui se sentent roulés : doivent-ils venir pointer chaque jour à l'ANAPEC, comme au «mouqaf» ? Combien de temps leur faudra-t-il attendre encore avant de passer ce fameux second test médical, eux qui avaient pris au mot le grand manitou de l'ANAPEC? Celui-ci n'avait-il pas déclaré solennellement que le premier contingent serait sur les bateaux de croisière promis à la mi-août ? Silence radio. L'automne approche et les trente mille malheureux candidats se font tanguer par des communiqués et des mises au point qui cachent mal le désarroi d'un bateau au creux de la vague appelé ANAPEC. • Youssef Simou