Amman. Convaincue que les Etats-Unis sont déterminés à attaquer l'Irak, la Jordanie estime que la balle est dorénavant dans le camp de Baghdad qui, seul, peut se sortir de cette situation. Début août, une tentative du roi Abdallah II de dissuader le président américain George Bush de ne pas frapper l'Irak en raison des effets catastrophiques que cela aura sur toute la région n'a pas abouti. C'est dans ce contexte que le souverain hachémite a récemment appelé l'Irak à «assumer ses responsabilités». Dans un discours à la nation, le roi Abdallah II avait souligné jeudi que son pays continuerait à faire ce qu'il pouvait pour l'Irak, «mais (que) la décision en fin de compte revient à la direction irakienne et c'est elle qui assume la responsabilité de cette décision devant son peuple et le monde». Selon un responsable jordanien, «toutes les tentatives de la Jordanie d'éviter une attaque contre l'Irak ont échoué. La balle est donc dans le camp de Baghdad. C'est à l'Irak de jouer, en acceptant le retour des inspecteurs de l'ONU et en se pliant à la volonté internationale». Limitrophe de l'Irak, la Jordanie s'inquiète des répercussions qu'une telle attaque aura sur son économie, et même, affirment les plus pessimistes, sur sa survie. Alors que les responsables jordaniens soulignent que le royaume ne participera en aucun cas à une attaque contre l'Irak, ils relèvent toutefois que leur pays n'adoptera pas non plus la position de 1990. A la suite de l'invasion irakienne du Koweït en août 1990, la Jordanie avait refusé de suivre l'exemple de nombreux pays arabes qui se sont ralliés à la coalition internationale, qui a libéré le Koweït en février 1991, et a adopté une position considérée favorable à l'Irak. Aujourd'hui la marge de manœuvre du royaume est limitée, estiment des diplomates à Amman. Il doit s'assurer que sa position ne soit pas perçue par Washington comme étant belligérante, il doit éviter de fâcher l'Irak trop tôt, en raison de sa dépendance pétrolière à l'égard de ce pays, et il doit calmer son opinion publique qui soutient largement l'Irak, soulignent-ils. L'intérêt de la Jordanie est de maintenir de bonnes relations avec les Etats-Unis, pour des raisons économiques (une aide de 450 millions de dollars en 2002) et politique, Washington considérant le royaume comme un allié modéré. «La Jordanie a trop à perdre en se ralliant à l'Irak surtout qu'elle n'aura aucune couverture arabe. De plus, si l'aide américaine était annulée comme cela a été le cas en 1990, ce serait une catastrophe pour ce pays», a relevé un diplomate occidental sous couvert de l'anonymat. Parallèlement, la Jordanie, qui dépend entièrement de l'Irak pour son pétrole avec des conditions particulièrement avantageuses, doit maintenir des liens avec ce pays pour éviter que le flot du pétrole ne soit interrompu, souligne un autre diplomate. Officiellement la Jordanie doit recevoir en 2002, 5,5 millions de tonnes de brut d'Irak. La moitié est fournie gratuitement, l'autre moitié est payée 19 dollars le baril, ce qui, avec le transport, revient à moins de 20 dollars le baril. «La Jordanie doit rester neutre dans la montée de tension entre les Etats-Unis et l'Irak pour ne pas fâcher ce pays et éviter des mesures de rétorsion», a-t-il indiqué. En outre, la Jordanie doit contenir son opinion publique qui est largement favorable à l'Irak et dénonce une action militaire contre ce pays. De son côté, la Syrie s'inquiète des conséquences pour les pays de la région d'une éventuelle opération militaire américaine en l'Irak, pays voisin avec lequel elle a établi de bonnes relations économiques. «Nous sommes totalement opposés à une frappe en Irak, qui est entièrement injustifiée», a déclaré le chef de la diplomatie Farouk Al-Chareh la semaine dernière lors d'une visite au Pakistan. Le rapporteur de la commission de la sécurité nationale au parlement, Yasser Nahlaoui, a mis en garde contre «une série d'attaques qui pourraient être lancées contre des pays de la région», après une opération contre l'irak. «Frapper l'Irak signifie sa partition et cela constitue un danger pour tous les pays de la région», a déclaré M. Nahlaoui à propos des menaces du président Bush qui se dit déterminé à renverser le régime de Saddam Hussein. Selon lui, les «interventions » américaines dans les affaires de l'Egypte et de l'Arabie Saoudite, pays arabes alliés de Washington, prouvent qu' « aucun pays au monde n'est à l'abri de la cible américaine».